Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVII, 1889.djvu/270

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
260
revue philosophique

la gamme ascendante et l’intensité croissante de ses cris une sorte d’impatience quand le besoin de téter devient plus impérieux et n’est pas satisfait immédiatement ; peu à peu l’élément moral de la douleur prend plus d’importance et se développe chez lui à mesure que se développent les sentiments affectifs et les émotions ; quant aux douleurs d’ordre intellectuel, leur apparition ne se fait que beaucoup plus tard.

Chez les animaux inférieurs, il n’y a pas à parler de douleur morale. Celle-ci ne peut se montrer qu’avec l’apparition des instincts et spécialement de l’instinct sexuel et de l’instinct maternel. En effet l’instinct sexuel et l’instinct maternel, qui n’en est qu’une dérivation, contiennent en germe toutes les émotions et toutes les passions. Je ne puis que renvoyer sur cette question à ce que j’ai dit des sensations émotionnelles dans un précédent chapitre. La douleur morale a dû se montrer chez l’animal le jour où le mâle a perdu sa femelle, où la femelle a vu périr ses petits. On sait à quelle intensité peut atteindre cette douleur morale dans certaines espèces, le chien par exemple. Enfin, certaines douleurs intellectuelles peuvent même exister chez quelques animaux : le chien qui rentre la queue basse après avoir manqué le gibier, l’éléphant qui se venge au bout de plusieurs mois de l’injure qui lui a été faite, le mâle qui se retire honteusement après sa défaite à la suite d’un combat contre un rival heureux, l’animal captif qui tombe dans une mélancolie profonde qui se termine souvent par la mort, le chef du troupeau auquel on a enlevé la sonnette dont il était si orgueilleux, l’oiseau qui se tient à distance avec méfiance à la vue d’un fusil, le perroquet désappointé auquel on a donné une noix vide, nous représentent autant d’exemples de sentiments douloureux ou pénibles dans lesquels l’élément intellectuel joue certainement un rôle essentiel.

Est-il besoin d’essayer de donner une classification des douleurs morales ? Cette classification ressort de ce qui a été dit précédemment. Au point de vue de leur cause, on peut les diviser en douleurs émotionnelles et douleurs intellectuelles ; au point de vue de leur nature, je les classerais en douleurs de fatigue, douleurs d’arrêt, douleurs de besoin ou d’inaction, et les développements dans lesquels je suis entré plus haut me dispensent d’insister plus longuement sur ce point. Cependant le tableau suivant, quelque incomplet qu’il soit et quelque discutable qu’il puisse être, permettra de fixer les idées :

Douleurs de fatigue. Douleurs d’arrêt. Douleurs d’inaction.
Fatigue intellectuelle. Surprise désagréable. Attente.
Indolence. Désappointement. Incertitude.
Langueur. Déception. Impatience.