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JANET.introduction a la science philosophique

donner encore plus en les rattachant à sa volonté. Les vérités éternelles sont donc créées et produites par Dieu aussi bien que les vérités contingentes. Dieu est l’auteur de la vérité comme il est l’auteur du monde. « Ces vérités, dit-il, ont été établies par Dieu et dépendent de lui aussi bien que les créatures. » Autrement, lui imposer de contempler et de reconnaître des vérités qu’il n’aurait pas faites, ce serait l’assujettir au Styx et aux destinées. « Ces vérités, dit-il encore, ne sont vérités que parce que Dieu les connaît ; mais il ne faut pas dire que Dieu ne les connaît que parce qu’elles sont des vérités. Il ne faut pas dire : Les vérités subsisteraient s’il n’y avait point de Dieu ; car l’existence de Dieu est la première de toutes les vérités. » La raison qu’en donne Descartes est très remarquable : « D’une part, dit-il, ces vérités sont proportionnées à notre entendement, mais l’infinie puissance de Dieu est au-dessus de notre entendement ; donc elles sont quelque chose de moindre que l’infinie puissance de Dieu. » Et, si l’on demande en quel genre de cause Dieu est l’auteur des vérités éternelles, il faut répondre qu’il en est efficiens et totalis causa, et qu’il en est cause comme de l’existence des créatures. Les vérités ne viennent pas de Dieu comme les rayons du soleil viennent de cette source : ce n’est donc pas par émanation qu’elles dérivent de Dieu, mais par une véritable création. Illas creavit ; ou du moins, si l’on a peur de ce mot, illas disposuit et fecit, et il ajoute : « Je dis que je le sais, et non pas que je le conçois et le comprends. Mais qui a nécessité Dieu à les créer ? « Je dis qu’il a été aussi libre qu’il ne fût pas vrai que toutes les lignes tirées du centre à la circonférence fussent égales comme de ne pas créer le monde, et il est certain que ces vérités ne sont pas plus jointes à son essence que les autres créations. » « Il faut admettre que Dieu a été de toute éternité indifférent à toutes choses, n’y ayant aucune idée qui représentât d’avance le vrai ou le bien, rien qui fut l’objet de l’entendement divin avant d’avoir été constitué tel par sa volonté ; et ce n’est pas parce qu’il était meilleur que Dieu créât dans le temps que Dieu a créé dans le temps ; mais c’est parce que Dieu a créé dans le temps que cela est meilleur. » Descartes applique ce raisonnement même aux vérités mathématiques, comme nous l’avons vu déjà par l’exemple de l’égalité des rayons du cercle ; et il va jusqu’à dire : « Ce n’est pas parce qu’il est impossible que les trois angles d’un triangle n’égalent pas deux droits que Dieu a voulu qu’il en fût ainsi ; mais c’est parce qu’il l’a voulu ainsi que cela est vrai. Il s’ensuit que Dieu aurait pu vouloir le contraire ; il aurait pu vouloir que 2 et 2 fissent 8, au lieu de 4. Enfin Dieu aurait pu faire qu’il y eût des montagnes sans vallées, et des