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ANALYSES.h. joly. Le Crime, étude sociale.

au préjudice de la plupart des sauvages, en les jugeant d’après leurs rapports avec les étrangers, qui sont pour eux ce que sont les animaux pour nous, et non d’après leurs relations avec leurs compatriotes, seul domaine, malheureusement très étroit, où puisse s’exercer leur moralité. L’autre remarque, sur laquelle M. Joly aurait pu aussi s’appuyer utilement, a trait à l’avantage que les mauvais sauvages, belliqueux et bien armés, ont dû avoir de tout temps sur les bons, travailleurs et inoffensifs, d’où j’induis qu’une minorité, même infime, d’assez bons sauvages observés aujourd’hui, en suppose une majorité considérable d’excellents au début de l’histoire. — Tel n’est pas, je le regrette, l’avis de M. Colajanni, qui partage sur ce point les idées courantes et accepte l’explication du crime par l’atavisme, mais par l’atavisme simplement moral, reproduction de passions et d’appétits propres aux populations du très haut passé, sans nul accompagnement d’ailleurs des caractères physiques qui ont pu se joindre jadis à ces tendances funestes, recelées dans le fin fond de quelques cellules du cerveau. Le De Corre, lui, ne paraît pas se rallier à l’hypothèse de l’atavisme, même moral ; il incline plutôt à celle de l’infantilisme, qui regarde les penchants criminels chez l’homme fait comme la suite et la prolongation exceptionnelle de germes généralement innés chez l’enfant, non chez l’enfant sauvage surtout, mais de préférence, chose à noter, chez l’enfant civilisé.

Pas plus que par l’hérédité à longue ou à courte portée, le crime, aux yeux de M. Joly, ne s’explique par la folie. Le visage du fou, de physionomie monotone en sa mobilité, de mimique incohérente et inconséquente, suffirait à le distinguer de l’homme sain. « Le fou est un organisme cessant de plus en plus d’être en rapport avec les phénomènes extérieurs comme avec les pensées des autres hommes… La conscience du fou est un monde à part, » ou plutôt, dirons-nons, un chaos à part, et à part précisément parce qu’elle est chaos. « Un changement radical de caractère l’a séparé violemment de son propre passé. » Rien de pareil chez le criminel. L’aliéniste distingue nettement la kleptomane du voleur, le pyromane de l’incendiaire, le dipsomane de l’ivrogne et même de l’alcoolique. À chaque crise nouvelle de kleptomanie, de pyromanie, de dipsomanie, il y a, chez les malheureux affligés de ces maladies, une sorte de transmutation d’âme annoncée par un trouble orageux : le dipsomane, par exemple, a le plus profond dégoût des boissons enivrantes dans l’intervalle de ses accès. Mais « un acte criminel est un acte entrepris par un homme conformément à son caractère habituel ». Sans doute il existe des aliénés d’une nature dangereuse, homicide, et il est peut-être opportun de leur affecter des asiles spéciaux comme en Angleterre, quoique le Congrès des aliénistes allemands, en 1882, se soit prononcé à l’unanimité pour la négative ; mais cela ne veut pas dire qu’il y ait des aliénés criminels, encore moins que tous les criminels, même tous les criminels d’instinct, soient aliénés. Les enfants qui présentent, avec les caractères les plus nets d’un instinct spécial, le penchant au vol, au mensonge, à la cruauté, à d’autres vices, « n’ont ni la physionomie,