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JANET.introduction à la science philosophique

contre la doctrine de Descartes et sur Dieu causa sui, et sur la création des vérités éternelles. Ce que nous retenons seulement, c’est que le philosophe des idées claires et distinctes a enseigné dogmatiquement la doctrine des obscurités nécessaires ; c’est que pour lui cette doctrine est une doctrine philosophique qu’il essaye de démontrer rationnellement et non par les arguments extrinsèques de l’autorité et de la tradition ; enfin, c’est au nom de la raison que Descartes exige que l’on s’élève au delà de la raison ; et cependant cette doctrine contient un élément d’incompréhensibilité que l’on pourrait à la rigueur taxer de contradiction : en un mot, ce sont des mystères ; et si Descartes nous propose de tels mystères, ce n’est pas parce qu’il se serait attardé en théologie, sans s’élever jusqu’à la philosophie, mais c’est que la philosophie moyenne, celle de l’entendement ne lui a pas paru suffisante et qu’il a cherché à s’élever au delà. Il y a donc, en philosophie même, une région supérieure qui correspond à la région des mystères en théologie ; et de part et d’autre on professe qu’il faut monter jusqu’à l’incompréhensibilité pour comprendre le compréhensible.

Nous avons pris pour premier exemple la philosophie qui repose sur le principe des idées claires et distinctes, comme la plus éloignée de toute idée mystique et par conséquent de la tentation d’introduire le mystère dans la science ; et cependant nous y avons trouvé le mystère. C’est donc qu’il y a là un véritable besoin de l’esprit. Ce n’est pas seulement un besoin de l’imagination, à savoir le besoin de se représenter sous forme sensible le pur intelligible. C’est un besoin de la raison dont la loi fondamentale est de se connaître elle-même, et par là même de se reconnaître des limites avec une tendance innée à dépasser ces limites, c’est-à-dire avec un besoin de concevoir l’inconcevable et de comprendre l’incompréhensible. Mais si ce besoin se manifeste si nettement déjà dans la philosophie des idées claires, combien plus pressant encore sera-t-il dans les philosophies qui ont par elles-mêmes une tendance mystique et font une large part à l’enthousiasme, à l’amour, à l’extase, par exemple dans la philosophie de l’école d’Alexandrie !

La doctrine alexandrine de l’Un au-dessus de l’être, τὸ ἔν ἐπέκεινα τοῦ ὂντος, ne peut-elle pas, elle aussi, être appelée un mystère ? On sait en quoi consiste cette doctrine. Dieu, dans le système alexandrin, se compose de trois hypostases. Il est à la fois un et triple, comme dans la Trinité chrétienne. L’expression d’hypostase est même celle que le christianisme a empruntée à la langue grecque pour exprimer les personnes de la Trinité, et c’est ce terme que les Latins ont traduit par personne. On pourrait donc dire que les Alexandrins ont