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ANALYSES.h. joly. Le Crime, étude sociale.

dans la proportion de 3 p. 100. Ils donnent déjà 12 p. 100 à la deuxième condamnation, 50 p. 100 à la cinquième, 80 p. 100 à la dixième. À la quinzième, ils donnent 100 p. 100, c’est-à-dire qu’ils supportent à eux seuls le total des condamnations prononcées. »

Il existe, non pas un type physique précis, mais divers types moraux, encore bien vagues et bien fondus les uns dans les autres, de criminels. Distinguons « les inertes, les emportés, les vicieux, les calculateurs féroces ». C’est là une classification toute psychologique fondée sur la diversité des aspects de la nature humaine, susceptible de se tourner d’ailleurs vers le bien comme vers le mal. Aussi, dans l’ordre du bien, correspond-elle symétriquement à une division analogue. — Comment l’accident criminel devient-il l’habitude, puis la profession criminelle, développée et consommée par l’association criminelle ? Question fondamentale, très creusée par notre auteur, avec l’abondance de faits et de documents, un peu aussi de commentaires, qui lui est propre. Le passage graduel du délit accidentel au crime enraciné et chronique se voit très bien dans la biographie de Barré et de Lebiez, bien qu’un seul de leurs méfaits ait été poursuivi et puni. Très juste observation à ce propos : « De pareils malfaiteurs ont beau n’avoir commis qu’un seul crime, ils n’en sont pas moins criminels d’habitude si le crime qui les a fait arrêter (précédé d’ailleurs de plusieurs délits dans les exemples cités) était le résultat devenu inévitable d’habitudes contractées de longue date. » Un bon spécimen du criminel de profession est Lacenaire. Le criminel de profession ne saurait évidemment se confondre avec le fou, qui n’est susceptible d’exercer aucun métier, ni bon ni mauvais.

Le criminel d’association, encore moins, puisque le fou est essentiellement un solitaire, même dans le cas exceptionnel de la folie à deux, vraie solitude à deux, conversation d’une voix avec son écho. Le couple de la prostituée et de son souteneur constitue, dans les grandes villes, l’association criminelle la plus répandue. Parfois trois ou quatre souteneurs s’associent pour tomber ensemble, la nuit, sur l’individu que la femme de l’un d’eux vient de raccoler. Le chantage est exercé en grand dans ce milieu-là. Bien mieux, la prostitution féminine et la prostitution antiphysique, loin de se jalouser, s’associent elles-mêmes, comme on peut en voir la preuve dans le livre si instructif de M. Carlier sur les Deux Prostitutions. — D’ordinaire, les associés criminels à Paris sont au nombre de trois ; cela se nomme « la tierce ». Quant aux véritables bandes de malfaiteurs, telles que la bande des chauffeurs qui a fini en 1800 le cours de ses exploits légendaires, M. Joly estime qu’elles ont disparu en France depuis 1857. Mais, à des signes certains, il remarque fort bien que l’esprit d’association n’a nullement pour cela diminué entre criminels. De temps à autre, on voit se former, au cœur des capitales, quelques embryons de bandes nouvelles, rendues impossibles sur les grandes routes depuis l’invention des chemins de fer. — Admirons, se passant, les conséquences morales que peut avoir une invention simplement mécanique.