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PAULHAN.l’abstraction et les idées abstraites

en plus abstraites, de plus en plus synthétiques et de plus en plus analytiques, et, lorsque l’évolution se fait régulièrement, de plus en plus systématisées. Si, en effet, nos idées abstraites telles que nous les employons en algèbre, par exemple, ou en philosophie générale, sont inaccessibles au sauvage, l’homme dont l’évolution psychique est peu avancée encore ne peut avoir l’idée synthétique concrète d’un acide ou d’une base telle que la chimie nous la donne, ou celle du sang, comme le microscope nous le montre, et, si une idée générale analytique comme celle ; de temps ou d’espace ne peut entrer dans l’esprit d’un enfant, cet esprit ne sera pas davantage capable de recevoir la conception synthétique abstraite d’une société ou d’un organisme.

C’est l’abstraction et la généralisation progressives que je voudrais étudier ici. Évidemment il est difficile d’étudier ce côté du développement psychique sans s’occuper en même temps de l’autre face, de l’évolution correspondante des idées concrètes. Mais nous envisagerons surtout la synthèse dans ses rapports avec l’analyse et non pour elle-même, comme j’ai tâché de le faire dans des travaux précédents.

Il ne me paraît pas inutile de faire remarquer ici tout d’abord que ces termes ordinaires d’abstraction, de généralisation, etc., ne sont pas suffisants pour exprimer les diverses opérations de l’esprit, ils manquent à la fois de rigueur et de largeur, ils ont besoin d’être complétés. En fait il y a des abstractions synthétiques et des abstractions analytiques, de même il y a des synthèses concrètes et des produits concrets de l’analyse, qu’on peut appeler des concrétions analytiques, si l’on prend le mot concrétion comme étant pour le mot abstraction ce qu’est le mot abstrait par rapport au mot concret, et comme désignant soit une opération de l’esprit, soit le résultat de cette opération. Nous aurons, du reste, l’occasion de revenir sur les différentes classes de phénomènes psychiques que je me borne à mentionner ici et que nous retrouverons souvent.

J’ajoute que, si j’ai mis le mot idées dans le titre de cet article, c’est faute d’un terme plus général ; en fait les sentiments et les tendances rentrent aussi dans mon sujet. Il y a, en effet, des tendances générales et abstraites et ce sont ces tendances qui produisent nos sentiments généraux et abstraits, nos idées abstraites et générales. Je crois d’ailleurs qu’il est impossible en psychologie de séparer l’étude des tendances de l’étude des phénomènes observés par le sens intime, et l’une des plus fortes raisons pour qu’il en soit ainsi, c’est que l’observation autre que l’observation sur soi-même ne nous révèle directement que des actes, par une induction très simple et