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trospection sont impossibles, car, comme le dit J. Sully, la représentation d’un sentiment ou d’une croyance ressemble de bien près au fait même de l’éprouver[1]. De même, peut-on ajouter, toutes les fois qu’on croit se représenter un objet, on se le représente. Pour emprunter un exemple à nos expériences, l’hystérique qui croit penser à un bâton, se représente réellement un bâton, quand elle dit cela ; et, sur ce point, elle ne se trompe pas, elle ne commet pas une erreur d’introspection. Mais voici en quoi consiste l’erreur : c’est dans l’interprétation et la reconnaissance ; l’image qui a été suscitée dans l’esprit de l’hystérique par le mouvement imprimé à son doigt insensible est réellement l’image visuelle d’un doigt. Cette image ne peut être perçue — ainsi du reste qu’une sensation — que par l’intervention d’une opération qui la classe avec des représentations analogues[2]. L’exactitude de la perception dépend de l’exactitude de la classification. Or, ici, dans le cas pris comme exemple, une erreur de classification a été commise : l’image visuelle de tel objet a été classée à tort avec celle d’un autre objet qui ne lui ressemble qu’en apparence.

Une erreur de ce genre ne peut pas être déterminée et reconnue chez un individu normal, car on ne connaît pas les états de conscience qui se succèdent dans son esprit, et par conséquent on ne peut pas savoir si, lorsqu’il en prend connaissance, il commet des erreurs de classification. L’expérience sur l’hystérique anesthésique fournit cette pierre de touche, car c’est l’expérimentateur lui-même qui choisit l’image devant apparaître au sujet, et par conséquent il peut déterminer dans chaque cas si cette image a été exactement perçue.

La conclusion générale qui résulte de tout ceci est évidente. Les phénomènes de l’idéation sont absolument calqués sur ceux de la perception extérieure. Un grand nombre de faits qui appartiennent à la psychologie contemporaine ont déjà établi ce parallèle. Nous rappellerons par exemple que nous avons montré ailleurs, après Wundt, que la contemplation d’une couleur imaginaire produit les mêmes phénomènes de contraste consécutif que la perception extérieure d’une couleur vraie. Les expériences nouvelles que nous faisons connaître aujourd’hui montrent que l’observation interne contient, comme l’observation externe, des opérations de classement, de reconnaissance, et quand ces opérations sont mal faites, il se produit des illusions. On peut, nous le répétons, se tromper sur ce qu’on

  1. Op. cit., p. 150.
  2. Pour l’analyse du processus de perception des objets extérieurs, je renvoie à mon précédent ouvrage sur la Psychologie du raisonnement.