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A. FOUILLÉE.primauté de la raison pratique

loi, non pour soi, mais pour le reste : le devoir n’est peut-être que la loi imposée par la liberté au monde des nécessités. Sous cette forme, le devoir cessera-t-il d’être problématique ?

Comment ce qui est , ce qui n’est connu que comme négation du connu et même du connaissable, — et comme négation purement possible, — comment ce simple point d’interrogation peut-il constituer une loi déterminée et déterminante pour quelque autre chose ? Le premier terme du rapport, , ne peut nous fournir une loi.

Et le second terme, c’est-à-dire le monde ? — Il a déjà sa loi, puisque c’est la nature, la nécessité même ; et cette loi est une loi de nécessité, par cela même incompatible avec une loi qui proviendrait du non-nécessité.

Les deux termes demeurent donc chacun à part, l’un dans son vide insondable, le non-nécessité  ; et l’autre dans sa réalité connaissable, la nécessité de la nature. Le seul rapport possible entre les deux, c’est celui que nous avons déjà indiqué ; il consiste à nous faire simplement nous poser cette question, à nous faire élever simplement ce doute : — Qui sait si les lois de la nécessité sont tout et s’il n’y a pas autre chose de possible, de réel même ?

Ce doute, selon nous, est nécessaire à élever, ce doute est de haute importance morale, il est une condition de la morale même : il est la mise en question de tous les intérêts sensibles, il prépare leur mise en accusation ; mais, à lui seul, il ne saurait constituer une loi, un impératif catégorique, un devoir. Non seulement il n’a pas pour fond et matière quelque bien saisissable à opposer aux biens sensibles ; mais il n’a aucune forme qui puisse établir un commandement : une interrogation n’est pas un ordre. Je demande à la nature : — Es-tu le tout de l’être réel ou possible ? — mais je ne puis encore lui dire : — Sois autre que tu n’es, — et encore moins : — Ne sois pas. Le mystère n’est pas une règle ; le silence éternel de l’abîme n’est pas un commandement ; ses ténèbres insondables ne sont pas une lumière capable de guider positivement notre vouloir. Tout ce que nous pouvons faire sur le bord du gouffre, c’est d’hésiter, de douter, de nous arrêter. Une idée spéculativement limitative de toutes les autres idées, et hypothétique, ne peut avoir pratiquement qu’une action limitative et restrictive, qui a besoin, comme complément, de l’action persuasive d’un idéal déterminé.

Serons-nous plus heureux en nous représentant la forme de l’impératif comme quelque chose d’universel ? Mais d’abord, qui nous dit le noumène soit universel ? — Comment savoir que cette détermination convient à ce qui est non-déterminé ; à moins qu’on ne fasse de l’universalité même une sorte d’indétermination absolue, qui