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ANALYSES.j. gourd. Le Phénomène.

tions au moins se présentaient : la dérivation par nécessité logique ; la dérivation par développement, par évolution ; toutes deux impliquant le monisme, devenaient inadmissibles. L’auteur voudra bien excuser cette critique d’un philosophe auquel l’unit, sinon peut-être une communauté de doctrine, à coup sûr une communauté de préoccupations spéculatives.

Les autres « faces dérivées du phénomène » sont, outre l’inactif et l’actif, l’instable et le stable, l’agréable et le non agréable, l’absolu et le causal, le libre et le déterminé, le fini et l’infini.

Nous n’insisterons que sur l’avant-dernière. Demandons-nous auparavant pourquoi le bien et le mal ne figurent pas dans cette « table d’opposition » qui à mesure qu’elle s’allonge nous transporte par la pensée presque jusqu’à Pythagore. Peut-être le bien et le mal rentrent dans l’agréable et le non agréable. Et cependant ces deux derniers termes ont moins de compréhension ; le mal est, sans doute, la plupart du temps, non agréable, mais il est autre chose encore ; il est ce qui n’aurait pas dû être, il est une contradiction vivante, il est le scandale de la raison qui le constatant ne le peut comprendre, veut le nier et ne peut l’éliminer. D’où vient cette lacune dans la philosophie de M. Gourd ? De ce que le bien et le mal sont objets de croyance et, comme tels, relèvent de la métaphysique ? La réponse, sans nous satisfaire autrement, aurait du moins le mérite d’être conséquente aux vues générales de l’auteur. La seule difficulté qu’elle soulèverait serait celle-ci : du moment où le bien et le mal relèvent de la métaphysique, c’est à la métaphysique que doit ressortir le problème de la liberté. Or ce problème est ici résolu, comme faisant partie du domaine de la philosophie générale.

Voici qui est plus grave : le libre et le déterminé peuvent-ils être, ainsi que M. Gourd le soutient, deux « faces » du phénomène ?

On peut bien admettre qu’il en soit ainsi du même et de l’autre. Socrate est le même que Socrate ; il est autre que Gorgias ; considéré successivement à ces deux points de vue, il continue de rester Socrate. Une opposition analogue peut-elle se manifester entre le libre et le déterminé ? Sans doute, en nous exprimant comme nous allons le faire, nous donnerons aux mots un sens différent de celui de l’auteur, mais puisque, dans son vocabulaire philosophique, le terme « moment » tient une grande place, c’est de ce mot que nous aimerions nous servir. Il nous semble préférable au terme « face » ; il nous semble, quant à nous, que l’idée de moment n’est pas exclusive de celle de réalité concrète, tandis que la notion de « face » l’exclut. « Face » est synonyme de « point de vue » ; deux faces du phénomène peuvent apparaître au même moment ; leur diversité pourrait bien n’être que subjective ; pour que le « divers » et le « ressemblant » soient, il faut que je les distingue. En revanche, la distinction du libre et du déterminé paraît bien affranchie de cette condition. Le ressemblant et le différent conviennent au même sujet, non sous le même rapport, ce qui