Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVII, 1889.djvu/42

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Nord, il n’y a pas de mot pour indiquer un chêne, bien que chaque espèce de chêne, le chêne noir, le chêne blanc, y soient désignés par un nom particulier. « Est-ce donc, demande M. Regnaud, que les noms des différentes parties du corps ou des différentes espèces de chênes ne sont pas des termes généraux ?[1] » La conclusion est que « M. Taine a vu juste : les enfants généralisent, comme les premiers hommes ont dû généraliser, par simple incapacité d’analyse. Seulement leurs généralisations, autant du moins qu’elles se traduisent dans le langage, n’ont rien de strict et s’arrêtent aux premières analogies frappantes, au lieu de passer tout d’abord aux genres que constitue un ensemble commun de caractères spéciaux ». « Les premiers hommes qui parlèrent, devaient avoir ainsi des termes génériques s’appliquant à un grand nombre d’objets individuels. L’idée qu’ils avaient des genres est ainsi provenue, non d’une abstraction croissante, mais bien de la détermination de plus en plus précise des classes d’objets que l’on confondait d’abord, faute d’attention et de mémoire[2] ».

Je crois qu’il faut concilier certains éléments de ces opinions diverses. M. Zaborowski a certainement raison de distinguer la généralisation telle que le savant peut la faire et « les analogies les plus obscures », les « rapprochements les moins raisonnes » qui déterminent souvent le sens des mots. Il n’en reste pas moins que nous trouvons dans ces analogies vagues, correspondant souvent à des caractères sans importance, un premier genre de généralisation psychique manifestée par le langage. Le mot, en effet, s’applique bien à une qualité analogue aperçue dans des choses différentes ; cette qualité analogue est donc bien séparée des différences réelles qui l’accompagnent dans la réalité. On pourrait même dire que plus les différences sont fortes et plus la ressemblance est faible, plus aussi l’abstraction est forte, qui permet de percevoir cette ressemblance insignifiante, au milieu de si grandes différences, si ce n’était pas presque toujours, sinon toujours, la qualité sensible de l’analogie qui fait sa force, alors que les différences ne seraient aperçues que par un minutieux examen. Entre Newton percevant la ressemblance profonde de la pomme qui tombe et de l’attraction des astres, et l’enfant percevant la ressemblance du cadre de deux tableaux et manifestant cette perception par la similitude de sa réaction personnelle, il y a sans doute un abîme et personne ne le niera, mais

  1. Paul Regnaud, Origine et philosophie du langage, ou Principes de linguistique indo-européenne, p. 243, note.
  2. Paul Regnaud, ouv. cité, p. 247.