Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVII, 1889.djvu/473

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


LE SENS COMMUN CONTRE LE DÉTERMINISME


I

Il est impossible de faire une inférence sans prendre quelque chose pour accordé. En d’autres termes, toute inférence repose sur ce qui ne peut être inféré, toute inférence présuppose une croyance en une thèse qui n’est pas susceptible de démonstration, et qu’on peut appeler une donnée naturelle. Les mathématiques, par exemple, ont pour base une chose qui ne peut être inférée, une chose indémontrable, à savoir ces données naturelles cohérentes qu’on nomme les axiomes. De même à la base de toute autre science, en prenant ce mot au sens strict, se trouve ce qui ne peut être inféré, ce qui ne peut être prouvé : par exemple, l’existence du Moi et de quelque chose de différent du Moi, à savoir l’univers matériel extérieur au Moi. Toutes les thèses qui arrivent à notre connaissance par l’expérience sont des données inaccessibles à l’inférence : les sciences inductives n’ont d’autre fondement que de pareilles thèses. L’expérience d’où Descartes tira son fameux « Cogito » enveloppe une donnée qui ne doit rien à l’inférence. (Pour le dire en passant, Descartes s’est trompé en prenant le « Cogito » pour une évidence d’où il pouvait inférer l’existence du Moi. Le « Cogito » enveloppait la connaissance du Moi aussi bien que celle d’une certaine pensée ; il ne pouvait donc servir à établir par voie d’évidence, de preuve, la connaissance du Moi. L’argumentation de Descartes n’est qu’un simulacre de démonstration.)

Toute explication, comme toute inférence, repose sur des données naturelles. En tant qu’une donnée naturelle a la vertu de nous inciter à croire vraies certaines autres thèses, on dit qu’elle possède une puissance d’explication. Il y a deux sortes d’explications : d’abord les données naturelles elles-mêmes ; puis les thèses accréditées dans notre esprit par voie d’inférence, les conclusions. Une