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d’une part, principalement sous la forme du devoir, et d’autre part un objet supérieurement désirable, il n’y a aucune place pour un choix. Je m’explique. D’abord il existe deux sortes, opposées entre elles, de raisons de préférence. Quand un motif de prudence a à lutter contre un motif de l’ordre de la passion ou de l’appétit, les raisons de préférence, contraires entre elles, et que les motifs impliquent respectivement, sont de la même sorte : au fond, de part et d’autre il s’agit d’éviter la douleur. Mais quand la dignité, et spécialement le devoir, est l’une des raisons en présence, et que l’autre est un objet supérieurement désirable, alors les raisons contraires ne sont plus de la même sorte la première implique, au moins comme un de ses éléments, comme élément essentiel, quelque chose qui n’est pas un péril à éviter. Dans le premier des deux cas qui viennent d’être exposés, la lutte des raisons de préférence ne laisse pas place pour une intervention de la Volonté : il n’y a pas matière à choisir quand il n’y a en présence qu’un objet moins désirable et un plus désirable, celui-ci accompagné de la raison qui doit le faire préférer. Il ne peut pas y avoir de débat sérieux sur le point de savoir si nous ferons ce qui est moins désirable ou ce qui l’est plus. Si donc il ne pouvait exister d’autre raison de préférence qu’une douleur à éviter, ni choix ni volonté par conséquent ne seraient possibles. Je ne m’arrête pas à la question oiseuse de savoir si des motifs opposés et égaux ne donneraient pas lieu à un choix, et si l’esprit ne pourrait pas être suspendu entre deux motifs opposés, comme l’âne de Buridan entre ses deux bottes de foin. Je poursuis. Est-ce que ce qu’il y a de désirable dans la dignité est le seul titre qu’elle ait à devenir une raison de préférence ? Il est essentiel à la dignité d’être agréable et par là désirable : ne peut-on dès lors présumer — nous devrions dire, tenir pour accordé — que quand la dignité est préférée, c’est qu’elle est plus désirable que ne le sont les objets des passions qui constituent les motifs contraires ? Pour résoudre cette question, on ne peut recourir au critérium qui consiste à constater l’incohérence de la thèse contradictoire ; le critérium de la vraisemblance ne paraît pas non plus à première vue nous conduire à la solution la meilleure. Mais le principe du respect qu’on doit aux données naturelles cohérentes réclame du sens commun un acte d’arbitrage en faveur de la solution la meilleure : en effet il n’y a pas d’autre moyen de maintenir cette donnée, que l’homme a un pouvoir de choisir. En outre nous avons, en faveur de cette solution, le témoignage de quiconque a vécu selon le devoir. Celui-là sait, par son expérience intime, que le devoir, en dehors du caractère désirable qu’il peut avoir, est une raison suffisante de préférence. C’est là un fait manifeste. Quand, dans