Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVII, 1889.djvu/487

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
477
CLAY. — le sens commun contre le déterminisme

tionnel, on pouvait trouver une sorte de réfutation du libre arbitre dans les faits où l’activité humaine apparaît comme sujette à des lois. Dissiper cette erreur, c’est aussi expliquer comment il n’y a pas incohérence à admettre à la fois que la conduite des hommes soit conforme à des règles et par là accessible à la prévision, et qu’ils soient des agents libres, leur conduite n’étant pas pour autant soumise à aucune loi. Si jusqu’à présent la conduite des hommes a été conforme à des règles et accessible à la prévision, c’est qu’elle a été surtout affaire d’instinct. Les interventions de la Volonté ont été si faibles, qu’il n’y a pas à en tenir compte. Quand elles ont été dirigées dans le sens du mal, elles n’ont fait que ce que l’instinct même eût fait, intervention à part ; et quand elles ont été dans le sens du bien, elles n’ont pas altéré sensiblement la ligne de conduite des hommes. Si la Volonté devait un jour, détrônant l’Instinct, établir son empire sur la race ou sur une société d’hommes, elle ne ferait que rendre leur conduite plus régulière et plus accessible à la prévision : car la volonté ne saurait régner si la conduite des hommes n’est vertueuse, et une conduite vertueuse a pour attribut le maximum de régularité. Une conduite volontairement mauvaise est chose incompatible avec le règne de la volonté, parce qu’elle ruine la faculté morale, et avec elle certaine condition organique sine qua non de la volition. Le règne de la Volonté est nécessairement le règne de la sagesse. Pour la Volonté, la mauvaise conduite équivaut au suicide. Elle est libre toutefois de se conduire bien ou mal, mais non d’empêcher que sa conduite ne soit régulière et accessible à la prévision. Se conduit-elle bien : elle substitue à la régularité instinctive une régularité volontaire ; mal, elle fait surgir une sorte d’image symétrique de la régularité instinctive. On le voit donc : parce que la

    et de pression, cela en convertissant certains mouvements de masse en mouvements moléculaires, et en substituant à l’équilibre statistique le mouvement : ainsi quand le charbon vient à être enflammé ou qu’un support vient à être retiré. Il peut faire que des atomes deviennent des âmes, et par là des esprits et des agents volontaires, cela en amenant la coopération nécessaire des sexes. Il peut également réduire des âmes à l’état d’atomes en causant leur mort. Mais en tout cela il n’altère jamais la quantité de pouvoir existant dans le monde. Considéré de ce point de vue, le libre arbitre ne saurait évidemment troubler la science à aucun degré ; il ne gêne point ses prévisions ; il est en harmonie parfaite avec les lois de la nature. Sans doute les démarches de la volonté, en tant que celle-ci est une faculté de choisir, échappent au calcul, et par là elles ne sont pas objet de science : la science en effet ne connaît que le nécessaire, et la volonté, comme faculté de choisir, n’est pas sujette à la nécessité ; mais la science ne prétend point former de prévision que ne puisse déranger une action arbitraire. Au fond, ce qu’on appelle ses prévisions, c’est un simple calcul de probabilités. Autant qu’elle est capable de prévoir, le Cosmos lui apparaît comme pouvant à chaque instant tomber à l’état de chaos. Comment dès lors soutiendrait-on que la science possède une véritable prévoyance ?