Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVII, 1889.djvu/51

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qu’elle avait un animal dans l’estomac. Elle avait un cancer de cet organe. » Voilà une vraie métaphore intellectuelle. Deux groupes d’éléments psychiques, celui des symptômes éprouvés par cette femme, celui de l’ensemble des représentations qui constitue un animal, s’étaient rapprochés et fondus ensemble, agglomérés, de façon à ne former qu’un tout en dépit des raisons qui pouvaient faire renoncer à cette hypothèse. Comparons l’état mental de cette folle à celui des ignorants chez qui survit le préjugé qu’un morceau de viande appliqué sur le cancer lui sert de proie et l’empêche jusqu’à un certain point de dévorer le malade. Évidemment cette conception se rapproche de l’autre, il y a bien encore rapprochement de deux groupes d’éléments psychiques et ces deux groupes sont bien très analogues dans les deux cas, toutefois ils ne sont agglutinés, systématisés que partiellement. L’ignorant ne croit pas absolument que le cancer est un animal, mais il confond vaguement jusqu’à un certain point et à trop d’égards les deux choses. Cette confusion incomplète est encore suffisante pour déterminer des actes qui impliquent la croyance instinctive à une ressemblance entre les deux systèmes de phénomènes beaucoup plus étroite que celle qui existe en réalité. Maintenant passons à l’état d’esprit de celui qui a le premier donné à la maladie en question son nom de cancer ; celui-là a fait une vraie métaphore verbale. Il est bien difficile de savoir jusqu’à quel point il confondait les deux choses, toutefois il est probable qu’il s’exagérait les ressemblances et que dans son esprit il y avait une cohésion assez étroite entre les deux conceptions. On peut la remarquer encore chez certaines personnes quand elles parlent d’un mal qui ronge le malade. On voit quelquefois chez elles une sorte de crainte, de répugnance qui parait causée en partie par ce qu’elles voient de mystérieux dans la nature du mal, par cette sorte de personnification vague qu’elles font et qui persiste, favorisée par la langue courante. Chez un médecin, au contraire, — excepté s’il est en train de faire de la poésie, — le terme a perdu probablement tout ce cortège de phénomènes accessoires, il n’y a plus qu’un groupe systématisé, la conception a gagné en précision et en hétérogénéité systématique, ce qu’elle a perdu d’images parasites et de rapprochements incohérents.

Mais nous n’avons pas à nous occuper encore des phénomènes de cette dernière classe, il s’agit dans ce chapitre des cas où l’abstraction ne s’est pas encore terminée, où les phénomènes psychiques qui devaient constituer la notion, la représentation d’un fait, la tendance à certains actes sont encore englobés dans des associations hétérogènes, et où, d’autre part, ils ne peuvent s’adjoindre certains éléments essentiels, retenus aussi et empêtrés dans d’autres com-