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ANALYSES.j. liégeois. Suggestion et somnambulisme.

l’un conscient, l’autre inconscient, l’un morbide, l’autre normal, est une opposition, un combat. De là l’erreur naturelle de penser que cette complexité interne était un fait d’exception. Ce qui est exceptionnel, c’est le caractère d’hostilité réciproque inhérent aux relations des deux personnes coexistantes. Dernièrement, M. Binet (Revue philosophique, février 1889, article sur les altérations de la conscience) concluait de ses remarquables études sur l’anesthésie des hystériques que la sensibilité consciente était seule paralysée chez eux, mais qu’à son défaut une sensibilité inconsciente, révélée clairement par son intervention dans l’association des idées, remplissait son office, comme un suppléant pendant le congé du titulaire. Il ajoutait qu’on avait le droit d’expliquer ces phénomènes par l’hypothèse d’une « seconde conscience, distincte de la conscience principale du sujet », en sorte que « inconscients pour le sujet, ces phénomènes pouvaient être conscients en eux-mêmes ». Ici les deux personnes attelées ensemble ne se combattent pas, elles collaborent ; tel est leur rapport habituel et normal qui a masqué si longtemps leur distinction. Or, voici que M. Liégeois, de son côté, en étudiant les hallucinations négatives, observe des faits de signification analogue. Il suggère, par exemple, à Camille S. (p. 703 et suiv.) de ne pas l’entendre parler, et elle ne l’entend pas ; mais, quoiqu’elle ne l’entende pas ou n’ait pas conscience de l’entendre, si ce qu’il lui dit est un ordre elle y obéit ponctuellement. Il en résulte, suivant lui, que durant l’hallucination négative, les hypnotisés voient ce qu’ils paraissent ne pas voir et entendent ce qu’ils paraissent ne pas entendre mais que « ils voient et entendent d’une façon inconsciente », d’où il suit que « il y a en eux deux moi : un moi inconscient qui voit et entend, et un moi conscient qui ne voit ni n’entend, mais auquel on peut faire des suggestions, en passant par l’intermédiaire du premier moi. » — Quelle que soit, du reste, l’explication vraie de ces faits, leur rapprochement suffit à montrer leur portée réelle, que M. Liégeois n’exagère pas.

Il est impossible, après avoir lu la seconde moitié du livre de M. Liégeois, de contester l’importance des révélations hypnotiques au point de vue de la jurisprudence criminelle et de la médecine légale. Non seulement, à leur lueur, tout un noir côté, très vaste, de l’ancienne justice criminelle, les procès de sorcellerie, s’éclaire d’un jour inattendu ; non seulement il y a lieu de penser que, de nos jours encore, dans des régions peu civilisées du globe, des catégories nombreuses de faits délictueux, par exemple les rapts d’enfants dans l’Inde et aussi dans certaines parties de l’Europe (p. 567), s’opèrent par l’emploi de procédés hypnotiques, mais encore au cœur même de notre civilisation contemporaine, et dans un passé tout récent, nous voyons se produire des faits tels que l’affaire Castellan (1865), l’affaire Lévy (1879), l’affaire Maria (1881), etc., où l’hypnotisme et le somnambulisme ont joué un rôle malheureusement trop réel et à présent incontesté. Je n’en dirai pas autant de l’affaire Chambige où, si je ne m’abuse, la suggestion n’a rien à voir. Les hypnotiseurs sont venus compléter les aliénistes, comme