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CORRESPONDANCE


SUR LA NOTION DU PHÉNOMÈNE

Monsieur le Directeur,

Vous avez bien voulu publier dans le numéro d’avril un compte rendu détaillé de mon ouvrage « le Phénomène ». Je vous en remercie, et j’en suis reconnaissant à l’auteur, M. Dauriac. Les appréciations aimables qui y sont contenues seront pour moi un précieux encouragement. Toutefois j’ai remarqué quelques inexactitudes dans l’exposition de ma pensée. Me permettrez-vous de signaler les plus importantes à vos lecteurs ?

M. Dauriac me représente tantôt comme renonçant à chercher l’unité suprême des choses, tantôt comme laissant engloutir toute diversité dans cette unité. Ni l’une ni l’autre de ces situations n’est la mienne. — Et d’abord, loin de renoncer à m’occuper de l’unité suprême, je ne crois pas que la philosophie générale soit possible sans elle. Le but de cette philosophie est, en effet, d’étudier les dernières diversités du monde phénoménal. Et comment étudier ces diversités ? Comme toutes les autres : en les ramenant à une unité supérieure. Pour elles, c’est l’unité suprême. La recherche de cette unité tient donc une place capitale dans notre philosophie ; si elle est vaine, notre philosophie est également vaine. — D’autre part, cette unité n’absorbe pas toute diversité, à la façon moniste. Elle couvre le différent, mais seulement en tant que celui-ci est un abstrait général fondé sur ce que les différents ont de commun, à savoir la qualité d’être différents (v. p. 143). Ce que chaque différent a de propre reste en dehors de cette unité (p. 192). Ainsi les existences peuvent conserver leur distinction quantitative et qualitative, tout en étant ramenées abstraitement à un terme unique. Sans doute, il en résulte une limite pour la science, au sein même de la réalité phénoménale, mais non un arrêt pour la pensée dans sa marche vers l’abstrait suprême. Cette distinction, qui se présente sous diverses formes et à l’occasion de nombreuses discussions, est capitale, elle aussi, dans notre philosophie.