Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVII, 1889.djvu/561

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activité un système de tendances qui primitivement ne se mettait en activité que par association avec d’autres systèmes. Ces systèmes présentement restent inactifs, mais ils peuvent s’éveiller aussi à notre désir et nous pouvons joindre le système qui constitue un a à tout autre système représentant une autre lettre, de manière à former ainsi des syllabes et des mots. Nous éveillons donc en nous un élément abstrait et général, quelle que soit, d’ailleurs, la manière — visuelle, auditive, motrice phonétique ou motrice graphique — dont nous nous représentons la lettre, pourvu que, telle que nous nous la représentons, elle puisse entrer dans certaines combinaisons. Nous avons donc ici un cas évident où l’expérience, le raisonnement peut-être, des besoins nouveaux et l’activité systématique de l’esprit qui leur a donné satisfaction ont déterminé la formation de véritables éléments abstraits. Ces éléments abstraits diffèrent des abstractions que nous avons examinées déjà en ce qu’ils subsistent par eux-mêmes. Jusqu’ici, en effet, nous avons vu les éléments s’abstraire d’une combinaison pour entrer dans une autre, ils étaient abstraits par rapport à la combinaison dont ils se dégageaient, mais ils ne sortaient d’une combinaison que pour entrer dans une autre. La poule peut couver des œufs de canard ou même de paon, mais si nous voyons bien la généralisation de l’acte de couver et s’il n’est pas douteux que cette généralisation ne suppose une abstraction, cependant nous n’avons pas vu en activité les produits isolés de l’abstraction, l’idée abstraite et générale de couver ne se présente probablement pas à l’esprit des oiseaux. Elle reste, sans doute, perpétuellement sous une certaine forme, comme trace organique, comme disposition des organes, mais elle n’existe en somme que virtuellement, c’est-à-dire qu’elle n’existe pas et que seules persistent quelques conditions permanentes essentielles de son existence. Et, sans doute, c’est bien là une de ces habitudes abstraites dont nous avons parlé, qui sont dans notre organisme et dans notre esprit, et qui sans doute, à proprement parler, le constituent, mais nous n’avons pas rencontré encore en activité ces éléments abstraits dont l’existence a été fort contestée et dont nous avons à présent à nous occuper directement.

L’état d’abstraction, d’isolement auquel les tendances ont été portées dans cette fonction du langage apparaîtra bien plus complètement encore si l’on considère les phénomènes morbides, l’analyse faite par la maladie dépasse certainement les prévisions des psychologues. Certains malades peuvent écrire et ne peuvent plus lire (cécité psychique) ; d’autres peuvent comprendre les mots écrits, mais ne comprennent plus les mots qu’ils entendent (surdité psychique) ;