Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVII, 1889.djvu/571

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pensable à l’étude de l’abstraction et de ses formes élevées, nous nous arrêterons surtout sur ces images vagues.

J’ai dit tout à l’heure que, lorsque je me représentais une personne, il m’arrivait souvent d’avoir en même temps que des images visuelles, certaines images auditives, des représentations de sa voix ; en ce cas, souvent je perçois une image auditive assez vague, un timbre sans paroles prononcées, comme dans d’autres cas j’entends des paroles sans timbre. Ici encore nous aurions beau jeu à recommencer la critique du raisonnement de Berkeley. Rappelons-nous seulement que l'image représentant une voix et un timbre de voix sans paroles prononcées est exactement l’analogue de la sensation que nous donne la conversation de personnes placées trop loin de nous pour que nous entendions ce quelles disent, et que cette abstraction que l’on a refusé de reconnaître dans l’imago et dans l’idée existe déjà dans la perception.

Voilà évidemment des images abstraites ; en effet, elles sont bien abstraites de la réalité concrète par une décomposition des éléments de cette réalité ; elles sont en même temps générales, en ce sens qu’elles représentent une qualité commune à plusieurs phénomènes : la représentation du timbre de voix d’une personne, par exemple, est générale en ce qu’elle indique le timbre qui accompagne ou qui peut accompagner un grand nombre de paroles.

Ces images abstraites ont été indiquées par plusieurs observateurs. Elles se rapprochent à certains égards de ce que M. Baillarger appelait des hallucinations psychiques. On voit en certains cas comment l’image abstraite se renforce, s’adjoint d’autres éléments psychiques et finit par devenir concrète, et sa nature finale nous aide à bien comprendre sa première forme. « Au début de ma maladie, dit une malade, c’est comme si on m’avait communiqué une pensée. On me répétait sans cesse : « Tu es une… » Je répondais : « Vous en avez menti ! » Tout cela se faisait sans bruit, c’était tout intérieur. Il en a été de même environ pendant trois mois ; mais cela se change : les voix que j’entends maintenant font du bruit, elles viennent de loin et m’arrivent comme si l’on me parlait avec un porte-voix[1]. » « Quelques hallucinés, dit encore M. Baillarger, entendent des voix fortes ou graves, plus souvent les voix ont quelque chose de mystérieux, elles ressemblent à des chuchotements, à des murmures[2]. »

L’interprétation ne paraît pas douteuse, il me semble que c’est

  1. Baillarger, Des hallucinations, p. 388.
  2. Baillarger, ouv. cité, p 293-294.