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MARILLIER.sur le mécanisme de l’attention

pour soi ; chacun d’eux était attentif. L’attention est un état qui ne saurait se maintenir très longtemps : la représentation dominante devient de plus en plus faible, de moins en moins consciente en raison même de sa durée ; elle ne peut plus maintenir ensemble les représentations qu’elle avait groupées autour d’elles ; images et idées se dispersent, s’évoquant et se chassant les unes les autres au gré des associations qui les unissent, jusqu’au moment où apparaît une représentation plus intense que celles qui l’accompagnent ; elle arrête pour un instant ce défilé ininterrompu de sensations, d’idées et d’images, elle les groupe autour d’elles, et l’attention reparaît. Nous pouvons être fort longtemps attentifs, mais il nous est impossible d’être longtemps attentifs à la même chose. La vie intérieure des hommes qui travaillent et qui pensent est une attention qui se soutient pendant de longues années, mais c’est une attention dont l’objet change sans cesse : l’attention concentrée, soutenue, la prédominance durable dune idée, c’est bientôt l’extase, l’unité, c’est-à-dire le néant de la pensée, l’entière inconscience.

À beaucoup d’esprits l’attention est difficile ; elle est impossible à quelques-uns. Il faut, pour que l’attention soit aisée, que les représentations ne se succèdent pas trop rapidement les unes aux autres : il faut aussi que la différence d’intensité entre les diverses représentations soit considérable. S’il existe en effet dans un même esprit des représentations d’intensité à peu près égale, elles lutteront les unes contre les autres et l’équilibre qui s’établira ne sera jamais stable : de là un sentiment pénible de gêne et d’effort. Si les idées ou les images s’évoquent et s’appellent les unes les autres, sans qu’aucune d’elles puisse durer, l’attention n’apparaîtra jamais, puisque la représentation forte qui aurait pu grouper autour d’elle tous les éléments de l’esprit aura à peine été amenée à la pleine lumière de la conscience qu’elle sera réduite et rejetée dans l’ombre par l’image ou l’idée qu’elle aura éveillée à son tour. Les esprits lents sont d’ordinaire les plus attentifs, les plus capables d’application ; les mêmes états de conscience persistent longtemps dans ces esprits là, les associations sont très fortes, mais peu nombreuses, les idées sont si étroitement reliées les unes aux autres et dans un cadre si fixe que la pensée ne peut avancer que pas à pas : il faut qu’une sensation soit très intense pour qu’elle puisse briser cette chaîne d’images et d’idées. Cette stabilité des états de conscience, cette pauvreté relative de l’imagination et de la mémoire, cette intelligence à demi fermée aux impressions extérieures qui ne sont pas liées aux conceptions qui l’occupent, ce sont là les conditions les plus favorables pour l’attention. Si, au contraire, un homme est à la merci