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REVUE GÉNÉRALE.histoire et philosophie religieuses

consacrer aujourd’hui quelques mots à cette dernière œuvre, qui n’est parvenue que tardivement entre nos mains. Dans son Irréligion de l’avenir[1], M. Guyau entreprend de se prononcer sur le problème religieux du temps présent et il le fait dans un esprit de haute et ardente curiosité, de recherche large et impartiale. Je rappelle les principales divisions de cette œuvre, qui a obtenu un légitime retentissement en France et à l’étranger. Première partie : la Genèse des religions dans les sociétés primitives ; deuxième partie : Dissolution des religions dans les sociétés actuelles ; troisième partie : l’Irréligion de l’avenir. — En tête du volume se lit une belle définition de la religion : « L’idée d’un lien de société entre l’homme et des puissances supérieures, mais plus ou moins semblables à lui, est précisément ce qui fait l’unité de toutes les conceptions religieuses. L’homme devient vraiment religieux, selon nous, quand il superpose à la société humaine où il vit une autre société plus puissante et plus élevée, une société universelle et pour ainsi dire cosmique. La sociabilité, dont on a fait un des traits du caractère humain, s’élargit alors et va jusqu’aux étoiles. Cette sociabilité est le fond durable du sentiment religieux, et l’on peut définir l’être religieux un être sociable non seulement avec tous les vivants que nous fait connaître l’expérience, mais avec des êtres de pensée dont il peuple le monde. » D’autre part M. Guyau justifie encore le sous-titre qu’il a adopté : Étude de sociologie, en s’attachant à définir et à apprécier les effets sociaux de la religion et en s’efforçant de donner une réponse à cette question : La disparition des religions positives entraînerait-elle des conséquences fâcheuses pour le progrès des sociétés ?

Il faut féliciter M. Guyau d’avoir franchi le cercle d’étroits préjugés qui font que la philosophie officielle de langue française, considérant la religion comme une forme à la fois populaire et superstitieuse des idées morales, appropriée à la médiocrité intellectuelle des masses, ne consacre qu’une attention dédaigneuse et superficielle à un phénomène que l’on tient pour inférieur. Notre regretté collaborateur a parfaitement vu qu’il y avait plus que cela dans la religion. Les études qu’il avait entreprises sur la philosophie étrangère lui avaient fait voir quelle place continue de jouer la préoccupation religieuse dans des milieux où les progrès des sciences naturelles et de la philosophie scientifique sont accueillis avec empressement. Il a compris que des questions aussi complexes, qui touchent de si près à la conscience et à la conduite, ne sont point de celles qui se tranchent par une décision sommaire. Et cependant je regrette de devoir constater que, après avoir reconnu l’insuffisance des définitions généralement adoptées, il est revenu par un détour au point de vue dont il avait saisi lui-même l’étroitesse. Sa longue enquête aboutit à une conclusion purement et simplement négative, non moins que l’ignorante suffisance de la plupart de nos « spiritualistes ».

  1. In-8o, xxviii et 479 pages.