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devant moi, ce n’était pas un objet, c’était un contour, et le contour d’un objet qu’elle n’avait jamais vu. Pour reconnaître ainsi ce contour, il fallait nécessairement qu’elle le vit.

Reste à prouver que ce qu’elle voyait ainsi, au moment de ma visite, elle le voyait déjà dès le premier instant qu’elle fut rendue à la lumière. Pour cela, nous ferons observer que le fait certain désormais que Marie V. voyait les contours au moment de ma visite détruit notre hypothèse de tout à l’heure au sujet de la reconnaissance par le nouveau voyant d’un objet complexe tel qu’une main. Si Marie V., huit jours après son opération, voyait réellement les contours d’un disque, il n’y avait pas de raison pour qu’au même moment elle ne vit pas également les contours d’une main. Donc c’était d’après le contour qu’elle reconnaissait alors une main quand on lui en montrait une. Or précisément M. Daguillon, quelques instants après lui avoir enlevé le bandeau pour la première fois, lui avait montré sa main. L’enfant naturellement n’avait pu la reconnaître, mais l’ayant touchée, elle avait dit : « C’est une main », et depuis, toutes les fois qu’on lui montrait une main, elle la reconnaissait de suite sans le concours du tact. Mais nous venons de prouver qu’au huitième jour Marie V. reconnaissait une main d’après le contour. Il n’y a aucune raison de croire que cette main lui soit apparue autrement le huitième jour que le premier ; du reste elle-même nie formellement qu’il y ait une différence entre ce qu’elle a vu d’abord et ce qu’elle voit maintenant, sauf la faculté qu’elle a et qu’elle n’avait pas de reconnaître les objets et de les nommer. Enfin le peu de progrès qui s’était fait dans sa vision de la profondeur de l’espace prouve bien, ce semble, que, si elle n’avait pas vu du premier coup les contours de la main, il lui eût fallu beaucoup plus de huit jours pour apprendre à les voir. Pour toutes ces raisons, il paraît donc incontestable que Marie V., dès qu’elle eut l’impression de la lumière, aperçut les contours des objets.

Voici encore un fait qui pourra servir de confirmation à cet égard. Lorsque M. Daguillon montra pour la première fois sa main à Marie V., elle lui dit qu’elle voyait quelque chose de clair et puis des trous. D’où a pu lui venir cette idée que ce qu’elle voyait ainsi, et qui n’était pas quelque chose de clair, ce devaient être des trous ? Évidemment du raisonnement que voici.

Lorsque je passe la main sur un objet, et que la résistance que j’éprouve cesse un moment pour reprendre un peu après, c’est qu’il y a un trou dans cet objet : ici il y a interruption dans les sensations visuelles que j’éprouve, donc il doit y avoir un trou. Ainsi il faut, pour expliquer la réponse de Marie V., admettre qu’il