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ANALYSES.j. serre. À la découverte du vrai.

Le matérialisme admet tout cela. Mais peut-il donner le bien ? Que serait un matérialiste vivant ? « Un homme qui a le droit de tuer sa mère, sans avoir droit à un remords. Que dis-je ? Tuer sa mère ? C’est une machine qu’il a accrochée. Pourquoi se trouvait-elle sur son passage ? D’ailleurs, c’était fatal (p. 51). » Le matérialisme est donc faux, car il ne peut donner la vertu.

Le positivisme ne l’est pas moins. On ne peut faire la vertu que si on sait le vrai, et le positivisme interdit la recherche de la vérité.

C’est donc le spiritualisme qui est le vrai. Mais quel spiritualisme ? Le spiritualisme athée ou le spiritualisme théiste ? Celui de M. Vacherot ou celui de M. Jules Simon ? « Convertirez-vous le voleur, dit l’auteur à M. Vacherot, en lui apprenant que l’homme est divin ? Mais si l’homme est divin, le vol est divin. Si c’est Dieu qui pense par mon esprit, mes idées sont saintes et mes erreurs sont divines. Il n’y a pas d’erreur ; et il n’y a pas de mal. Pour les coquins, grands et petits, quelles riantes perspectives (p. 86) ! » Entre M. Vacherot et M. Jules Simon la vertu n’hésite pas et préfère le dernier.

Voici une autre philosophie qui prétend tout concilier, c’est la doctrine de l’évolution. Le devenir est Dieu et Hegel et M. Renan sont ses prophètes. « Notre époque est le triomphe de la philosophie qui confond (p. 89). » Matière, esprit, Dieu, c’est le même être qui s’épanouit de plus en plus. Toute vie est un de ses moments, tout être une de ses formes. — Dans cette synthèse, M. Serre trouve « la théorie enfin complète, consommée, définitive du vice (p. 104) ». En effet, d’après l’évolution, l’erreur d’aujourd’hui est la vérité de demain, le vice d’aujourd’hui est la vertu de demain. Si donc le monde marche au progrès, c’est aux criminels que nous devons tous nos respects et aux honnêtes gens tous nos mépris. Qu’est-ce que le vice pourrait désirer de plus ? Et M. Serre conclut qu’il n’y a et ne peut y avoir qu’une philosophie de la vertu, le spiritualisme théiste. Il veut qu’on « aime la nature comme les savants modernes, et Dieu, comme les saints du moyen âge ; qu’on croie à la bête humaine, mais qu’on croie aussi à l’âme humaine, et sous le grand ciel étoilé « qui revient tous les soirs nous rappeler ce que c’est que de nous en nous mettant face à face avec le véritable univers », qu’on ne refuse pas aux petits enfants les clartés supérieures d’un autre ciel et la foi en un être devant qui ce grand tout n’est rien, et qui toujours crée de nouveaux soleils sans perdre la moindre de nos pensées du regard de l’éternelle innocence. »

Cet opuscule est plein de vie et de mouvement. On y sent l’honnêteté du cœur sous la franchise de la plume ; le style n’est pas académique, il appelle un chat, un chat, il n’a pas recours aux atténuations d’expression qui édulcorent et affadissent la pensée.

Ce qui est surtout intéressant dans la brochure de M. Serre, c’est la netteté et la rigueur de sa logique. Où il a tort seulement, c’est quand il parle de l’indépendance de la morale vis-à-vis de la méta-