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ANALYSES.döring. Philosophische Güterlehre.

de la soif. Les besoins primaires sont presque tous limités, mais il s’y surajoute un besoin secondaire, qu’il est souvent difficile d’en distinguer, et qui, de sa nature — c’est là un lieu commun — est insatiable.

Parmi les remèdes immédiats de la peine, l’auteur signale, outre l’effort (Streben), qui spontanément réagit contre elle, la légèreté (Leichtsinn), l’illusion et la résignation.

Nous ne pouvons entrer dans le détail de cette analyse, et nous passons à la 2e partie (théorie synthétique des biens) qui contient l’examen de la possibilité du bonheur. Le bonheur peut être conçu soit comme absence totale de peine, soit comme simple prédominance des plaisirs sur les peines ; de là deux divisions.

Le bonheur parfait est impossible, non seulement, cela va de soi, en cette vie, mais dans une vie future, quelle qu’elle soit, qu’on voudrait imaginer. Pourtant l’espérance sur ce dernier point, si illusoire qu’elle soit, entre encore en ligne de compte dans la constitution du bonheur présent.

En second lieu, une prédominance des peines sur les plaisirs est-elle possible ? Tant que nous nous en tenons à l’hypothèse d’une activité sans unité, non systématisée, on ne peut répondre avec süreté à cette question. L’expérience immédiate, l’instinct de conservation, etc., ne fournissent aucune preuve décisive, d’autant que l’individu lui-mème est souvent embarrassé de savoir s’il est heureux ou non. Enfin une statistique est ici impossible. À ce point de vue M. D. n’est point optimiste. Il accorde même à M. de Hartmann que le développement des besoins est favorable à l’accroissement des peines.

Mais la question change d’aspect dès qu’on se place au point de vue d’une subordination de toute l’activité à un but unique ou souverain bien. Jusqu’à présent on n’a considéré que l’activité fragmentaire du Trieb (impulsion) et du Begehren (désir) ; nous avons à considérer maintenant la volonté en tant qu’activité systématique et synthétique.

Il ne faudrait pas croire qu’en parlant d’un souverain bien, on entende par là un bien en soi, une perfection ayant une valeur intrinsèque. Le bien ne peut se concevoir en dehors de la satisfaction d’un besoin, et si l’on parle de choses parfaites en soi, c’est qu’on oublie qu’elles paraissent telles par leur aptitude à satisfaire l’intelligence, les besoins intellectuels de celui qui les perçoit. Il est par suite impossible aussi de faire le bien pour le bien ; cela n’a pas de sens ; un acte suppose toujours le stimulant d’une satisfaction à obtenir.

Le souverain bien n’est donc tel que par rapport à un souverain besoin capable de dominer tous les autres et de leur servir de règle. Quel est ce besoin ? C’est suivant M. D. celui de nous reconnaître une valeur pour autrui, une utilité à l’égard des autres, ou, suivant son expression, une « valeur objective ». Ce principe dans les développements duquel nous ne saurions entrer, et que l’auteur fortifie d’un certain nombre de témoignages (Descartes et : Spinoza principalement), a l’avantage, à ses yeux, de concilier l’égoïsme subjectivement inévitable