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où, après être entrée en communication et avoir traversé sans nul doute une période de lutte, de désordre, plus ou moins abrégée grâce à une tendance héréditaire et à une prédisposition organique au groupement personnel, elles manifestent ce double phénomène d’ensemble : une croyance et un désir, le tout impliqué assez confusément dans une sensation. On me permettra de ne voir dans la première croyance et le premier désir conscients que la prééminence enfin reconnue, je ne dis pas d’une cellule sur toutes les autres, mais du contenu spirituel d’une cellule sur celui des autres dans lesquelles il s’est propagé, non sans des résistances probablement très fortes. Les croyances et le désir en question sont donc le reste, probablement très faible, des soustractions intérieures. Mais en vertu des mêmes causes qui l’ont fait surgir, ce reste tend à s’accroître, et j’entends par logique la voie suivant laquelle s’opère cet accroissement dont le terme idéal, souvent approché par l’adulte à son apogée, mais jamais atteint, serait l’harmonie sans nulle dissonance, l’addition sans nulle soustraction, des quantités élémentaires de nature inconnue élaborées par toutes les cellules du cerveau. Nous dirons donc que la croyance et le désir, quand ils se montrent à la conscience, sont déjà le produit d’une coordination logique des éléments sensationnels et que celle-ci va progressant jusqu’à la formation de ces deux grandes fonctions mentales : le jugement et la volonté. Ajoutons que, si elles s’opposent souvent, la première cependant est hiérarchiquement supérieure à la seconde et tend à se la subordonner.

Tout ce qui précède s’applique au monde social. Des sauvages ou, si l’on veut, des singes anthropomorphes, ont beau être réunis sur un même territoire, s’y battre et s’y tuer, voire même s’y accoupler : il n’y a rien là de sociologique encore. Nous devons traverser d’abord bien des séries de générations muettes et sans lien, où les familles isolées ne se rencontraient que pour s’exterminer sans se comprendre, et où, dans le sein de chaque famille, encore toute bestiale, dépourvue de toute communication verbale, l’amour et le dévouement réciproques étaient sans doute connus, mais non l’obéissance à l’ordre du père ni la foi à l’enseignement du père. Après cette phase présociale, d’une durée indéterminée, il vient un âge où les sensations et les impulsions, les jugements et les volontés, qui naissaient et mouraient jusque-là isolément dans chaque cerveau individuel, parviennent à se communiquer des parents aux enfants, et réciproquement, par la vertu de quelques gestes, puis de quelques signes sonores ; ces jugements et ces volontés se reconnaissent dès lors en conflit ou en accord, en conflit le plus souvent peut-être, et