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ou cette sensation élémentaire qui, ai-je dit, en se propageant dans tout le cerveau, est devenue le moi, en quoi a-t-elle pu consister si ce n’est en une objectivation quelconque ? Le moi et le non-moi, le roi et le dieu, sont donc donnés en même temps, quoique l’un soit le reflet de l’autre ; et ils se développent parallèlement.

L’idée divine a lui. Dès lors, mais à cette condition seulement, sous l’empire d’une suggestion commune qui se perpétue ct se complique au cours des âges, les pensées et les volontés disciplinées sortent de l’anarchie, entrent dans l’ordre, marchent d’un pas lent, mais en masse, dans la voie des progrès futurs. Il est inévitable, au début des sociétés, que l’ensemble des idées vraies, des propositions investies du privilège de la foi unanime, se présente comme un legs des aïeux transmis verbalement de génération en génération à partir de quelques révélateurs inspirés par les dieux. La révélation, qu’il s’agisse d’oracles et de songes prédisant l’avenir ou de livres sacrés racontant le passé et la formation de l’univers, est et doit être jugée alors la source de toute vérité ; en sorte que le trésor des dogmes révélés, des prédictions et des enseignements soi-disant divins, étant donné, la question de savoir si une proposition est vraie revient à se demander si elle est d’accord avec ces prophéties ou ces dogmes. Pour les Grecs, après chaque réponse de la Pythie, la grande affaire était de la bien interpréter. Non seulement omnis potestas, mais omnis veritas est censée découler à Deo. Par la même raison, la source de toute autorité doit être cherchée primitivement non dans l’utilité générale, si difficile à préciser et si discutable, mais dans Dieu, dont un homme se fait l’interprète, par délégation supposée du pouvoir divin. Ces délégués des dieux le sont, soit en vertu du sang divin qui coule dans leurs veines, soit, plus tard, en vertu d’une consécration élective qui s’est transmise fidèlement à partir d’un dieu bon. La vérité et l’autorité sont conçues d’abord comme des choses qui se transmettent et se conservent en se transformant, mais qui ne s’engendrent pas spontanément. Pour l’homme du moyen âge encore, il v a une certaine somme non seulement de vérité, mais d’autorité qui passe, toujours canalisée et close, de main en main, sans jamais s’accroître, suivant des modes de transmission traditionnels et seuls légitimes, et dont la source est Dieu l’ennemi du Diable, le Bien ennemi du Mal.

Observons que de la conception du vrai comme chose révélée découle la nécessité, à la longue, d’un clergé, c’est-à-dire d’une corporation enseignante, réputée infaillible soit dans la personne de son chef, soit dans sa collectivité ; et que de la conception du bon comme chose voulue par un Dieu, découle la nécessité d’une