Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVIII, 1889.djvu/16

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
6
revue philosophique

fait certain et indiscutable ; il ne reste plus de place que pour l’hypothèse. Au point de départ assuré et solide succède la possibilité indéfinie des conceptions et des systèmes.

Au contraire, cette condition est-elle donnée ? La méthode est à la fois, selon le point de vue où l’on se place, générale et spéciale ; générale à sa base, posé le fait universellement admis d’où elle part ; spéciale dans la donnée que ce fait enveloppe, puisque cette donnée est un principe déterminé et précis qui exclut, en se posant, toutes les hypothèses rivales.

Dans ce cas, mais dans ce cas seulement, l’objection préjudicielle qu’on fait à la possibilité d’une méthode en métaphysique peut être écartée. Une méthode générale, disait-on tout à l’heure, est celle qui réconcilierait, en les dominant, tous les systèmes, et une telle méthode est chimérique. La réponse est facile. Il suffit qu’elle se présente avec des titres qui lui pernettent de réconcilier tous les esprits, et pour cela que faut-il ? Qu’elle fournisse à tous une base solide, un point de départ hors de toute atteinte et incontesté.

On objectait d’autre part qu’une méthode a nécessairement sa physionomie propre et qu’il faut par suite qu’elle soit spéciale. Spéciale aussi sera la nôtre, si elle est ajustée au principe dont le fait primitif est la traduction ; mais tandis que la méthode d’un système ne vaut d’ordinaire que pour ce système et dans l’hypothèse particulière qu’on a faite, celle qu’on propose a sa dernière raison dans une donnée fondamentale de l’expérience. Comme toute méthode, sans doute, elle s’applique à une conception déterminée, mais cette conception, au lieu d’être en l’air, est assise et solidement assise sur les faits.

Un tel résultat, il est vrai, n’est possible que sous les conditions que nous avons indiquées, et peut-être que le concours de ces conditions n’est qu’un espoir sans fondement et un rêve.

Nous ne le pensons pas et nous croyons que la raison qui l’affirme a priori a raison.

Leibniz, en quelques lignes profondes, a rendu de la raison un témoignage digne d’elle :

« Je crois, écrit-il, que ce qu’on dit blâmer pour cette faculté est plutôt à son avantage. Lorsqu’il semble qu’elle détruise en même temps deux thèses opposées, c’est alors qu’elle nous promet quelque chose de profond, pourvu que nous la suivions aussi loin qu’elle peut aller[1] »

Les faits ont plus d’une fois confirmé cette pensée, et il eût été dé-

  1. Foucher de Careil, Nouvelles lettres, p. 415.