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matière vivante il n’est pas de diversité radicale. Pour en venir à considérer les éléments des corps bruts comme d’anciens éléments organiques, comme des débris d’êtres autrefois vivants, il faut, de toute nécessité, voir dans la matière vivante un degré supérieur de la matière brute, et inversement. Or, là-dessus, la pensée de M. Delbœuf ne soulève point d’équivoque. Entendez-le parler des corps bruts, et vous aurez bientôt l’assurance que les propriétés dont il les croit investis ne sont rien moins qu’inorganiques. À ses yeux, la notion d’affinité reçoit un sens passionnel, et quand il prononce les mots d’attraction et de répulsion, il a bien soin de rappeler qu’il les prend au pied de la lettre. Leibnitz n’y aurait trouvé rien à redire, ou du moins il aurait très vraisemblablement approuvé ces vues d’ensemble : en même temps il aurait invité le philosophe à plus de réserve dans l’emploi des termes, il lui aurait reproché de remplir le monde d’intelligence, de sensibilité, de liberté, et cela avec une prodigalité semblable à celle des tout premiers philosophes qui remplissaient le monde de démons ; il eût demandé que chacun de ces mots fût défini, qu’on sût exactement de quelle espèce est la sensibilité des atomes chimiques, quel est le degré de leur intelligence, et ce qu’on sous-entend chaque fois qu’on parle de leur spontanéité libre.

Voici, croyons-nous, ce qu’il n’eût pas manqué de désapprouver, franchement.

Du moment où l’âme est le fond de l’être, l’âme dans la totalité de ses manifestations, sensibles, intellectuelles, volontaires, le problème des origines de la vie perd beaucoup de son obscurité primitive. Il garde toute son obscurité aux yeux des biologistes, parce que les biologistes ont une méthode inverse de la méthode métaphysique et qu’ils cherchent dans les phénomènes externes à surprendre le secret de la vie. Mais M. Delbœuf a beau vouloir, en lui le biologiste ne sait pas donner congé au métaphysicien. Quand, aux atomes de Démocrite, on substitue ceux d’Empédocle avec leurs passions fondamentales d’amour et de haine, c’est qu’on ne peut se décider à séparer absolument la matérialité d’un certain degré de spiritualité ; or, n’est-ce pas une contradiction que de parler d’êtres organiques dont la vie s’est retirée, non l’âme ? L’esprit, partout où il se rencontre, est le vainqueur de la mort ; ce n’est point assez dire, il en est la négation expresse ; l’esprit implique la vie.

M. Delbœuf n’y contredirait pas, et d’ailleurs, ainsi qu’on le verra bientôt, ses vues sur la mort aboutissent sinon à la supprimer, ou à en atténuer les effets visibles, du moins à en limiter singulièrement, si l’on peut dire, la sphère d’action. L’essentiel de ce que nous