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pondantes. » La différence porte surtout sur les hommes supérieurs au niveau moyen ; ils sont beaucoup plus nombreux en Europe, et ce sont eux qui élèvent le niveau de la civilisation occidentale.

Les grands hommes sont donc un facteur important de la civilisation Mais ils agissent autrement qu’on ne le croit d’ordinaire. « Leur action consiste à synthétiser tous les efforts d’une race » ; même les inventeurs ne font que clore une série d’efforts préparatoires ; les grands hommes d’État, dont Hegel et Carlyle ont voulu faire des demi-dieux qui dirigeraient les destinées des nations, ne peuvent que réaliser les changements conformes aux besoins nouveaux de leur peuple.

Dans la seconde série des facteurs de l’évolution, M. Le Bon place la lutte pour l’existence dont la forme principale est la guerre. « Loin d’être un reste de barbarie en voie de disparaître, la guerre semble être une condition essentielle de l’existence des peuples et du développement de la civilisation. « La preuve, c’est qu’au lieu de se perdre, l’art de la guerre s’est toujours perfectionné. La lutte prend aussi la forme de la concurrence industrielle. Partout ce qui domine c’est « le droit du plus fort ». Un autre facteur indispensable est l’aptitude à varier. « Pour qu’un peuple puisse progresser, il faut qu’il puisse se transformer » et en même temps qu’il continue « à se plier à des lois fixes ». C’est cet équilibre qu’il est difficile d’atteindre : les sociétés antiques suivaient des coutumes trop rigoureuses, de nos jours « la variabilité domine et amène des révolutions ». Deux peuples seulement ont su réaliser l’équilibre, les Romains et les Anglais.

Le dernier facteur examiné est l’action des croyances et des illusions. C’est pour son idéal que l’homme vit, lutte et meurt ; l’histoire est le récit des efforts accomplis pour atteindre un idéal, l’adorer, puis le détruire. « Les croyances sont très variées » ; elles n’ont de commun que d’être de vaines chimères… Les idées qui nous enflamment maintenant… sembleront sans doute à nos descendants de vaines ombres. Ombres sans doute, mais ombres toutes-puissantes dont l’humanité ne saurait se passer. » Le pessimisme ne peut les anéantir, il reprend lui-même le langage et les sentiments de la foi. « C’est que l’affirmation sera éternellement plus humaine que la négation. » En somme, de tous les facteurs du développement des civilisations, les illusions sont peut-être le plus puissant. « C’est une illusion qui a fait surgir les pyramides et pendant 5,000 ans hérissé l’Égypte de colosses de pierre. C’est une illusion semblable qui au moyen âge a édifié nos gigantesques cathédrales et conduit l’Occident à se précipiter sur l’Orient pour conquérir un tombeau… Ce n’est pas à la poursuite de la vérité, mais bien à celle de l’erreur que l’humanité a dépensé le plus d’efforts. Les buts chimériques qu’elle poursuivait elle ne pouvait les atteindre, mais c’est en les poursuivant qu’elle a réalisé tous les progrès qu’elle ne cherchait pas. »

L’histoire des civilisations de l’Orient qui suit ce traité philosophique est un tableau animé, complet et généralement exact, à peu