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Mais cette participation est-elle un avantage ou une infériorité ? C’est, disons-nous, une infériorité.

La mimique, par son mode de représentation, appartient encore au monde des formes visibles ; la musique rompt entièrement avec le monde matériel des formes. Le son est de sa nature invisible, quoiqu’il soit dû à la vibration d’un corps ou d’un milieu sonore. La musique, sous ce rapport, comme on l’a dit Hegel, est bien plus près du monde de l’âme ou de l’esprit. Elle est aussi plus idéale, plus pathétique et plus expressive. Elle est l’art véritable du sentiment, comme déjà l’avait reconnu Aristote. (Problèmes, Politique, VIII.)

La mimique (la danse et la pantomime) exprime bien aussi des sentiments, des passions, des caractères, des actions ; mais c’est toujours par des formes ; elle se sert d’un instrument matériel, le corps animé, visible. Or, ici, la supériorité d’expression est celle de l’invisible sur le visible, du moins matériel ou du plus spirituel sur ce qui est matériel et visible. La mimique ne peut donc, sous ce rapport, rivaliser avec la musique. La mimique frappe plus directement les sens, elle excite ou irrite davantage la sensibilité physique, mais par là même elle se tient beaucoup plus à la surface de l’âme. Et voilà pourquoi elle charme les esprits grossiers[1]. La musique, l’art des sons harmonieux, s’adresse à l’oreille, mais par l’oreille à l’âme et au sentiment ; la musique qui, comme la parole, se sert du signe inétendu, invisible, du son, pénètre bien plus avant dans l’âme et ses profondeurs ; elle y fait résonner des cordes intimes que la mimique effleure à peine et d’autres que celle-ci ne connaît pas ; on peut dire qu’elle envahit l’âme tout entière. Elle engage avec elle un dialogue où elle lui raconte, en sa langue, ses joies et ses souffrances, ses luttes et ses combats, ses tristesses, ses angoisses, ses aspirations, ses tourments, ses défaites et ses triomphes. Elle la plonge dans des ravissements infinis. Elle évoque tout un monde d’émotions, la délivre du poids ou de l’oppression de ses peines, lui fait entrevoir loin de la terre les radieuses splendeurs du ciel. Elle laisse en elle des impressions autrement durables et profondes que celles qu’on rapporte de la mimique aux plus beaux temps de son histoire.

Mais cette subordination reconnue, l’accord subsiste entre les deux arts et il est facile de montrer cette alliance ainsi que les services que l’un peut rendre à l’autre.

Le chant d’abord s’allie très bien à la danse ; l’art chorégraphique et l’art musical s’harmonisent si bien qu’ils ne peuvent se passer

  1. Aristote (Problèmes…) l’a très bien vu et formulé.