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le point de départ qu’on a choisi soit le vrai, quel esprit, dans le long progrès de ses idées, pourra se garantir à lui-même, qu’il n’a, du point de départ au but, jamais dévié de la ligne droite ? Qu’on ne l’oublie pas, il faut, si l’on veut aller de l’inconnu au connu, que le lien logique soit continu d’un terme à l’autre ; or il peut arriver et il arrive presque nécessairement lorsqu’il s’agit du développement de toute une doctrine, que le tissu des déductions n’est pas à tout moment et sur tous les points aussi serré et aussi ferme, et l’on risque alors de n’arriver à la conclusion qu’on poursuit que par le hasard de considérations adventices qui font que, sans le savoir, on anticipe le but à atteindre. Nous ne prétendons pas que de tels essais soient nécessairement infructueux, mais nous croyons qu’ils laissent trop de place à l’arbitraire, soit que le champ des suppositions possibles ne puisse être au début assez strictement délimité, soit que l’hypothèse une fois choisie, il faille une sûreté de jugement exceptionnelle pour ne demander à cette hypothèse, dans le cours d’une œuvre de longue haleine, de l’œuvre de toute une vie peut-être, que ce qu’elle peut donner par ses seules forces.

Une telle méthode, quand il s’agit d’une doctrine métaphysique, n’est, à vrai dire, que l’absence de toute méthode. C’est la multiplicité des tentatives substituée à l’effort régulier et suivi, c’est l’infini, c’est l’indéterminé mis à la place de l’un.

La seule voie sûre est celle qui part du phénomène ; le phénomène tombe sous nos prises ; il n’est ni ne peut être contesté ; ce qu’il enveloppe certainement est certain.

Il ne faut pas dire : l’être doit posséder tel attribut parce que, dans telle hypothèse, je retrouve ou crois le phénomène ; un attribut quelconque, l’unité elle-même, peut toujours, de gré ou de force, conduire à cette conclusion marquée d’avance, et lorsqu’on est’décidé à retrouver le phénomène, on le retrouverait au besoin de n’importe quel point de l’horizon métaphysique. Il faut dire : lêtre est tel parce que le phénomène est un fait — mieux encore, le fait par excellence, le fait unique — et qu’en vertu de sa nature le phénomène exige que l’être soit tel.

Nous sommes ainsi amenés à étudier de plus près ce que je ne sais quoi que nous n’avons encore posé qu’à titre d’existence inerte et passive, c’est la sêule chance que nous ayons d’obtenir une réponse précise à la question qui nous intéresse et de savoir si l’être est un ou multiple.

Une première remarque s’impose d’abord à l’esprit :

Familiers avec le phénomène, nous ne songeons guère à lui