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EVELLIN.possibilité d’une méthode

et définie. Il est ce qu’il est. Qu’on le suppose légèrement modifié, il devient autre, et s’il est autre, il n’est plus.

Il est donc impossible, s’il existe seul, que le temps apparaisse jamais, parce qu’alors le changement fera défaut.

D’une façon générale, l’unité absolue exclut tout ce qui est multiplicité, même abstraite, parce qu’elle exclut tout rapport. Ce n’est pas seulement le temps, c’est l’espace, c’est le mouvement qui disparaissent du monde si l’on supprime la pluralité des choses. La loi universelle est alors une loi d’immobilité et de repos, où, faute d’un milieu approprié, le phénomène périt.

Nous l’avons vu dans une précédente étude : le phénomène, posé seul, est impuissant à se ressaisir, et à s’affirmer comme unité. Maintenant, au contraire, l’être, posé seul, se refuse à tout ce qui est multiplicité ou relation.

Dans aucun de ces deux cas, l’être n’est en cause, mais dans l’un et l’autre, au contraire, le phénomène s’élimine, parce que, ici ou là, il lui manque toujours une des conditions essentielles de son existence, l’unité de la forme ou la multiplicité de la matière.

Ce n’est donc pas assez de dire, comme nous l’avons fait : « le phénomène est, donc l’être est ». Cette formule est exacte, sans doute, mais incomplète. Il faut dire maintenant toute la vérité : « Si le phénomène existe, l’être n’est pas seulement, il est multiple, parce que, cette supposition écartée, rien de ce qui fonde, rien de ce qui constitue le phénomène n’est plus possible. »

Jusqu’ici, il est vrai, l’être que nous avons considéré comme seul au monde a toujours été posé dans la plénitude de son essence et conçu d’abord comme achevé. N’est-il pas permis de lui prêter la forme plus souple et plus vivante du devenir, et de supposer qu’au lieu d’être tout lui-même et complet dès l’origine, il se réalise peu à peu par une loi intérieure de progrès qui se confondrait avec sa nature ? S’il en était ainsi, le problème ne nous aurait présenté encore qu’une de ses faces, et peut-être ne l’aurions-nous abordé que du côté où il est à la fois le plus accessible et le plus favorable à nos conclusions. Pour l’épuiser, il faut, du point de vue statique, le seul soumis jusqu’ici à nos analyses, s’élever à l’idée toute dynamique du développement naturel, de l’épanouissement régulier et nécessaire de l’être posé primitivement à l’état de germe avec le pouvoir d’évoluer.

Cette conception, à première vue la plus vraisemblable, est aussi celle qui a rallié le plus d’esprits. Dans les temps modernes surtout, il semble qu’on n’ait guère songé à faire sortir le phénomène