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EVELLIN.possibilité d’une méthode

Voici comment :

On peut imaginer une multiplicité en repos, et les rapports d’être à être demeurant alors invariables, l’accident serait dans chaque être immuable et éternel. C’est ce qu’il est aisé de concevoir. En effet, l’action supposée de plusieurs natures sur une seule créerait en chaque centre d’action un état nettement défini et déterminable par l’ensemble même de ses facteurs. Or. s’il est clair que, dans une telle hypothèse, nulle essence ne garderait sa pureté primitive, il est aussi de toute évidence qu’une essence quelconque serait fixée à jamais et par la stabilité même des choses, dans l’accident qui serait le sien. Alors, pourrait-on dire, l’éternité subsisterait seule au monde, et apparaîtrait sous deux formes également immobiles, celle de l’être lui-même et celle du mode à lui imposé par les circonstances. Mais la réalité n’a rien de commun avec cette supposition. Le mode, loin d’être immobile, apparaît soudain, il jaillit instantané, et possède, par cela même, avec une physionomie distincte, je ne sais quoi d’arrêté et d’individuel qui fait contraste avec la continuité de l’être. Un tel fait est révélateur. S’il a pu se produire une fois, c’est que l’éternité de l’accident a pris fin, et si elle a pris fin, c’est qu’un changement est survenu au dehors.

Il faut maintenant que le changement se répète et se répète toujours. Qu’on suppose donc entre les êtres des relations d’une mobilité extrême, qu’on se représente un équilibre total formé de rapports à chaque instant différents les uns des autres, et voici ce qui nécessairement va se passer : chaque être pris comme sujet sera sans cesse soumis à des influences nouvelles, et comme le phénomène n’est possible que par l’acte combiné d’un sujet et d’un objet, l’objet changeant toujours, le phénomène à chaque changement d’objet variera lui-même. De là des accidents, distincts dans leur ensemble de l’être qu’ils affectent, et distincts aussi les uns des autres, puisqu’en chacun d’eux l’un des deux facteurs diffère toujours. C’est tout ce qu’il faut, semble-t-il, pour que le temps devienne possible.

En effet, la série des changements s’opposant tout entière et comme série à l’être où elle apparaît, l’être non seulement demeure en dehors, immobile dans l’éternité de son essence, mais il coexiste à chacun de ses modes et les domine tous de son unité compréhensive et indivisible. Ainsi se trouve donné un terme fixe auquel il sera permis de comparer des accidents quelconques dans le passé, le présent et le futur ; et, d’autre part, passé, présent et futur deviennent concevables, par la distinction même des modes entre eux.

L’éternité est donc et reste toujours bien propre et le vrai trésor