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REVUE GÉNÉRALE.giordano bruno

tement théorique, du De Immenso par exemple. Mais l’esprit général du système et la division trilogique sont là. Ascète de la pensée, Giordano finit par s’en proclamer uniquement esclave et « naissant le penser, le désir meurt en lui[1] ».

On revient assez de nos jours à cet optimisme lyrique, échauffé par les vues générales de la science, plus riche en dogmes généreux qu’en preuves solides[2]. Giordano Bruno le prêchait avec la volcanique ardeur d’un esprit éclos dans la terre où l’Etna se dessine aux horizons du Sud, et le Vésuve vers le couchant.

« Aimé des sages, admiré des doctes, magnifié des grands, défendu, délivré, maintenu sauf[3] », un autre, un plus capable de régler sa vie, fût demeuré en Angleterre entre Philip Sidney, Greville, Spenser et Temple. Le pays où Bacon allait construire sa vaste synthèse aurait su garder un philosophe moins purement apôtre. Mais Castelnau revenait en France. Bruno, devenu précepteur dans la famille de l’ambassadeur, le suivit, par amitié, par intérêt, par le désir qui poussait son âme inquiète et son activité sans frein vers tous les changements, au risque de tous les périls.

L’effervescence où il trouvait Paris, en 1583, en pleine Ligue, ne l’empêcha pas de quitter la maison de Castelnau pour se loger en un quartier lointain. À la suite d’un certain rêveur de Salerne, Fabrizio Mordenti, il se livra à des spéculations cosmométriques, il écrivit un commentaire du De Physico Auditu d’Aristote[4]. Il disputa de nouveau en Sorbonne avec sa fougue habituelle, trouvant cette superbe formule de la recherche scientifique moderne : « Intellectus in investigatione sit liber, non ligatus », et vers la Pentecôte une étape nouvelle le menait en Allemagne.

Mendoza, ambassadeur d’Espagne, tenta de faire rentrer Bruno dans l’Église. Il ne semble pas que le rapatriement fût impossible alors, car le nonce n’y répugna point. Une promesse formelle de rentrer dans les ordres fut seulement exigée au préalable avant toute négociation. Bruno s’y refusa, et partit pour l’autre côté du Rhin, vers cette « Germanie où la sagesse a bâti son temple[5] ».

« Exposé toujours à la vorace dent du loup romain[6] », dont il n’avait pas voulu réintégrer le bercail, il parcourut l’Allemagne, par

  1. Eroici Furori, p. 332.
  2. Les hypothèses souvent admirables d’un philosophe mort prématurément, M. Guyau, en seraient une marque certaine.
  3. Op. ital., IX, 204.
  4. Ces deux opuscules parurent en 1586, à Paris, chez Chevillot, cloitre Saint-Jean de Latran, à la Rose rouge.
  5. Gratiaria Valetudinaria, Lévi, p. 254.
  6. Oratio consulatoria ad corpus acad., Helmstedt.