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REVUE GÉNÉRALE.giordano bruno

les astres, parmi lesquels heureusement le souverain avait su comprendre un Tycho-Brahé et un Képler.

À peine arrivé, présenté à la cour sans grand succès, Giordano publia le De Specierum scrutinio et le De lampade combinatoria, puis cent soixante thèses contre les mathématiciens et les philosophes de son temps, précédées d’une importante épître dédicatoire à l’empereur. C’était une nouvelle profession de foi, un appel à la philanthropie, un réquisitoire contre l’autorité des dogmes. Bruno proclame qu’il cherche tout refuge et tout bien « sur les libres autels de la philosophie ». « Toujours, et en tout lieu, proclame-t-il, je combattis dans le combat entre les ténèbres et la lumière, entre la science et l’ignorance, et en tout lieu je devins, en butte aux haines, aux clameurs, aux insultes des stupides multitudes, la cible des colères des gradués académiques, pères d’ignorance. » Rodolphe accepta la dédicace et donna 300 thalers.

Mais l’enseignement public était interdit à Prague pour Bruno, et le séjour devenait vite insupportable dans ces conditions au pèlerin de la philosophie. Six mois passés, il venait à Helmstedt, l’ancienne ville sainte, la ville des autels à Wotan, où le duc Jules de Brunswick avait fondé l’Académie Julienne. Le duc venait de mourir, et Bruno, toujours à l’affût de toute occasion propice à sa renommée, prononça une oraison consolatoire où il se dépeint lui-même « exposé à la gueule et à la voracité du loup romain, à la tyrannique furie de la bête féroce du Tibre ». Ce pamphlet funéraire lui valut 800 écus et le droit de faire à l’Université des lectures publiques.

Mais les princes allemands n’étaient, paraît-il, pas aussi indulgents pour la doctrine que généreux pour le philosophe. Un an ne s’était pas écoulé, que Bruno quittait Helmstedt (avril 1589), et prenait le chemin de Francfort-sur-Mein. De grands imprimeurs, les Wechel, cet André Wechel même qui avait acquis à Paris le fonds d’Henri Estienne et s’était après la Saint-Barthélemy retiré à Francfort, accueillirent avec faveur l’Italien.

Logé aux Carmélites, Bruno reprit sur-le-champ les discussions scolastiques. Ainsi que le témoigna dans sa déposition au Saint-Office le prieur du couvent qui l’hébergeait à Francfort, il « employait nuits et jours à écrire, et à aller chimerizant et astrologizant des nouveautés ». Avec son ordinaire imprudence le philosophe s’était jeté sous la surveillance de ses ennemis. On l’épiait et on l’espionnait. Il nous parle « d’un malheur soudain » qui le força à quitter encore Francfort. Comme s’il eût prévu que ses jours de libre travail étaient comptés, il avait publié à Francfort le De imaginum, signorum, idearum compositione et il y avait achevé le De triplice minimo.