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premier à distinguer deux éléments, ceux-là même que nous avons aperçus et fait remarquer dans le temps et dans l’espace, l’un et le multiple.

Sans doute, temps, espace, quantité, sont des notions qui n’apparaissent à la conscience que toutes faites, et l’on peut supposer un moment que le travail inconscient qui les crée se justifierait lui-même, s’il était visible ; mais l’esprit ne saurait s’arrêter à cette hypothèse, parce que le travail dont on parle aboutit à une collection, et que les éléments mêmes de cette collection manqueraient dans la supposition de l’absolue unité.

Quoi qu’il en soit, le phénomène, sous peine de réaliser une contradiction, implique sujet et objet.

La science et la philosophie ont un égal besoin de ce principe : la science, parce que, sans lui, ses hypothèses n’auraient pas de sens — on n’a rien à chercher au delà du phénomène, si le phénomène est l’absolu, — la philosophie parce qu’il lui est impossible d’expliquer autrement la connaissance. Sans que le phénomène soit l’être lui-même, il est, en un sens, et il ne peut être ainsi que s’il dépend de deux termes, autrement dit s’il est relatif.

Concluons :

Le monisme n’est possible que s’il écarte le phénomène ; mais écarter le phénomène pour ne voir que l’être, c’est se priver d’une des données — que dis-je ? — de la donnée fondamentale du problème, et construire en l’air. L’être alors sera ce que nous et l’image le ferons, non ce que le phénomène exige qu’il soit.

Le phénoménisme qui, de parti pris, supprime l’être, ne peut se poser.

À son tour, le monisme, qui exclut le phénomène, ne se pose qu’arbitrairement ; ses constructions sont tout idéales, et dans l’a priori, où il voudrait pouvoir se fixer, le sens du réel lui fait défaut. C’est d’une telle métaphysique qu’on a pu dire, et à bon droit, qu’elle est avant tout une poésie, parce que rien n’y gêne l’élan de la pensée, rien n’y vient jamais limiter son activité créatrice ou contrarier ses conceptions.

Il ne faut exclure ni l’être, ni le phénomène, parce qu’ils sont donnés l’un et l’autre, et si l’on ose dire, l’un dans l’autre. La seule métaphysique qui mérite, selon nous, le nom de positive, est celle qui, tenant compte des deux éléments primordiaux de la connaissance, définit l’être en fonction du phénomène, et pose à l’origine sa pluralité.

C’est par un acte de croyance nécessaire que nous sommes passés de l’existence du phénomène à celle de l’être. Un acte semblable