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G. TARDE.le crime et l’épilepsie

20 cas d’épilepsie. Encore ajoute-t-il qu’un seul de ces 20 avait commis un délit sous l’influence directe de l’accès épileptique, chose vraiment surprenante si l’on veut que l’épilepsie soit le ferment organique spécial de la criminalité. Bien mieux, la proportion des épileptiques dans les prisons italiennes, d’après les études statistiques du même écrivain, est tout au plus de 0,66 pour 100 ; et Lombroso lui-même avoue qu’elle est seulement de 5 p. 100 !

La réfutation de l’idée dont il s’agit, si on la prend au pied de la lettre, est donc aisée. Trop aisée même ; et l’on a peine à croire qu’un savant de cette envergure ait pu se fausser à ce point l’esprit, par précipitation de jugement. On reste enclin à penser plutôt, je ne sais pourquoi, après avoir lu attentivement son ouvrage, que, sous son amalgame d’observations et de conjectures, s’agite peut-être une idée profonde, comme une source sous un éboulement. Tâchons de dégager cette vérité confuse, et, dans ce but, parcourons à notre tour le chemin en zigzag suivi par l’aliéniste italien. C’est la première fois qu’il nous donne occasion de nous promener avec lui à travers toutes les variétés criminelles, au lieu de nous enfermer dans la criminalité native. Il a cherché, et c’est là le côté neuf de son livre, un trait d’union, un même foyer virtuel ou réel, à ces diverses formes de la criminalité ; il a voulu rattacher intimement les uns aux autres, par un lien de chair, la férocité froide de l’assassin de race, sans peur et sans remords, le délire homicide de l’aliéné qui pleure, après son crime, l’explosion meurtrière du coupable par passion ou par ivresse, l’aberration désastreuse du fanatique ou du mattoïde, la routine professionnelle du voleur d’occasion tombé dans l’engrenage de la récidive, la scélératesse impunie du criminel latent, du bandit homme d’État, ce privilégié des temps égalitaires. — À des modes d’activité si dissemblables par les mobiles et les procédés, les anciens criminalistes ne trouvaient qu’un caractère commun, la violation cruelle ou astucieuse d’un droit d’autrui ; Lombroso prétend leur découvrir une cause commune, inhérente à la substance du corps. Il s’est trompé, sans doute, en spécifiant cette cause, qu’il a identifiée sans raison suffisante à l’épilepsie : il excelle, entre parenthèses, à découvrir ou imaginer les analogies les plus imprévues et à les transformer inopinément en identités. Mais son erreur en ceci ne prouve nullement que la cause cherchée et mal précisée par lui n’existe pas.

I. — Parlons d’abord des criminels par folie morale. Ils ne diffèrent des criminels-nés, réputés tels comme porteurs du signalement plus ou moins équivoque ou arbitraire tracé par Lombroso, que par une exagération marquée des caractères propres à ceux-ci, avec les-