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aux souvenirs. Mais pour tous ces syllogismes, ils ont besoin d’impressions qui agissent au moment même et qui font la base de leurs idées. Sans cela, il n’y a presque pas d’idées, et, s’il y en a, elles sont confuses et embrouillées, et le malade n’en parle point. Aussi tant que l’on ne s’adresse pas à lui, il reste silencieux, ou murmure un vers ou une prière, appelant seulement de temps en temps quelqu’un de son entourage, pour qu’on lui donne à fumer ou à manger. Cette faible productivité intellectuelle se fait voir même alors que, sous l’influence d’une excitation extérieure, on fait travailler l’intelligence.

Le malade, comme nous l’avons déjà dit, raconte volontiers, mais on ne remarque pas qu’il s’anime, qu’une idée en amène toute une suite d’autres, qu’il imagine de nouveaux plans ou qu’il tire des déductions de ce qu’il vient de dire, comme le font les gens qui se portent bien. Ils ont toujours les mêmes combinaisons d’idées, qu’on dirait apprises, mais ils manquent de verve, d’animation. Ils ne s’intéressent à rien, si ce n’est à des besoins physiques, tels que le besoin de manger, de boire, de dormir, de fumer. Et même dans ces cas l’intensité des désirs paraît être fortement affaiblie, bien que le malade répète souvent : « Je mangerais volontiers un morceau » ; il le dit si mollement, avec si peu d’insistance qu’on dirait que ces paroles n’expriment aucun désir impérieux.

Les malades considèrent leur état d’une manière superficielle et froide. Il y en a beaucoup qui sentent que la mémoire leur fait défaut, mais ils n’y attachent guère d’importance. Étonné, par exemple, de ce qu’il a oublié qu’il venait de me voir, le malade ajoute qu’il a toujours eu une mauvaise mémoire, et il n’y pense plus. Ils n’éprouvent ordinairement pas la douleur d’un souvenir qui ne revient pas, chose qui a ordinairement lieu chez des gens sains. Du reste, j’ai observé, chez deux malades, qu’ils avaient conscience de la faiblesse de leur mémoire ; aussi l’un d’eux, quand on lui disait qu’il avait vu un tel ou un tel, demandait avec inquiétude s’il n’avait rien dit de désagréable au visiteur, s’il ne l’avait pas offensé, s’il n’avait pas dit de sottise. Les malades de cette catégorie font bien attention, en causant, à ne pas se tromper et à ne pas laisser voir leur défaillance de mémoire ; aussi parlent-ils des choses en traits généraux, sans précision, et ils évitent les occasions de préciser les détails. Il faut encore faire remarquer que, parfois, ces malades, en présence d’une personne à qui ils veulent cacher leur infirmité, semblent recouvrer une certaine acuité de mémoire : ils paraissent se mieux souvenir et ne font pas les fautes qu’ils commettent sans cesse en présence des gens auxquels ils sont habitués. Mais