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main, il dit bonjour. On s’en va et on revient deux, trois minutes après ; le malade ne dit plus bonjour et cependant, quand on lui demande s’il vous a vu, il répond négativement. Cependant on peut apercevoir dans sa manière d’agir que la trace du souvenir d’avoir vu la personne est dans son âme et agit d’une manière ou d’une autre sur les manifestations de son activité intellectuelle. Enfin ce qui prouve que les traces des perceptions reçues pendant la maladie, lorsque l’amnésie était très prononcée, subsistent, c’est le fait positif que, lorsque les malades commencent à guérir, ils racontent certains événements qui se sont passés pendant leur maladie et qu’ils semblaient avoir complètement oubliés ; leur état s’étant amélioré, les traces de ces impressions reparaissent et deviennent conscientes. Ainsi l’un de mes malades, dont j’avais tracé la courbe du pouls au moyen du sphygmographe de Dudjeon, pendant la période de sa maladie où il oubliait tout au bout de deux, trois minutes, me rappela dix-huit mois après le commencement de sa maladie que j’avais apporté une petite machine dont il me décrivit l’aspect. Il y avait beaucoup de faits de ce genre chez ce malade, de façon qu’on peut affirmer que beaucoup de ce qui se faisait et se disait autour de lui, alors qu’il semblait tout oublier complètement, laissait des traces qui reparurent bien des mois après.

Ensuite ce qu’il y a d’intéressant c’est que souvent, lorsqu’il paraît que toutes les traces des perceptions extérieures et des procès intellectuels qui se sont produits dans le cerveau ont disparu, certains malades gardent le souvenir des sentiments qu’on a éveillés en eux. À voir comment un malade envisage tel ou tel objet, on s’aperçoit bien que l’image de l’objet a disparu de la mémoire et que l’aspect de l’objet ne rappelle pas au malade qui l’ait vu auparavant, qu’il s’éveille un écho du sentiment que cet objet a éveillé dans le malade la première fois. On le reconnaît à la manière dont ces malades traitent les gens qu’ils ont connus pendant leur maladie. Ils n’en reconnaissent pas la figure et croient toujours les voir pour la première fois ; néanmoins les uns leur sont toujours sympathiques, d’autres antipathiques. Il en est de même pour les choses : un malade n’aimait guère les séances d’électrisation et, aussitôt qu’il voyait une machine électrique, il éprouvait un moment de mauvaise humeur, bien qu’il fût prêt à assurer que je voulais l’électriser pour la première fois. Il me semble qu’on ne peut expliquer cela qu’en supposant que la mémoire des émotions subsiste plus longtemps que celle des images.

Ensuite, lorsque le malade se rétablit, on peut remarquer qu’en général la maladie n’attaque pas également le souvenir de différents