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ces faits passés, c’est ordinairement la ressemblance d’une impression présente avec l’impression oubliée. Le malade n’est pas en état de rappeler à son gré toute une série de faits consécutifs arrivés dans le temps de sa maladie ; il n’a que quelques épisodes de la vie de ce temps, mais il ne pourrait dire comment ils doivent se suivre. Cependant, une fois que le malade s’est souvenu d’un incident de cette période obscure pour lui, il pourra toujours le rappeler activement, il appartient à sa vie consciente. De cette manière, peu à peu, cette période obscure se remplit de souvenirs des incidents. Ces souvenirs ne sont pas encore très clairs ni très fermes : c’est qu’il se rappelle non seulement les faits, mais encore les paroles dites en sa présence, et peut-être même ses rêves, et tout cela fait maintenant partie de sa conscience ; tout cela ne présente qu’un chaos parce que si le malade se rappelle un fait il ne peut décider s’il s’est passé en réalité ou s’il l’a rêvé : la trace qu’a laissée un incident réellement arrivé se distingue peu par son intensité de celle d’un songe ou d’une idée du malade. C’est pour cela qu’il prend souvent pour une réalité ce qui n’a existé que dans son imagination.

Lorsque l’époque obscure de la première année de maladie fut en partie remplie de souvenirs de cette espèce, on put remarquer que le malade tâchait de les coordonner. Mais cette coordination n’était guère semblable à la réalité. Cela devint surtout visible la troisième année de la maladie lorsque le malade commença à exposer tout ce qu’il pensait. Ainsi il disait avoir été empoisonné, et empoisonné avec du plomb, et il se rappelle me l’avoir entendu dire au commencement de son affection. Il se rappelle même comment on l’a empoisonné en versant du vinaigre sur une planche de plomb. Cela lui a été dit pendant sa maladie par la personne même qui l’a empoisonné ; elle est venue le voir et le lui a dit (le malade n’avait pas vu cette personne pendant sa maladie). Cette personne était ensuite soi-disant morte de méchanceté de n’avoir pu l’empoisonner tout à fait, etc. Le malade dit qu’il croit cela, que cela lui semble être arrivé de cette manière, mais il est d’accord que peut-être il confond ce qui est réellement arrivé avec ce qu’il a entendu dire et ce qu’il pense au moment présent. Ensuite deux pièces de monnaie de la collection du malade furent perdues pendant sa maladie. Lorsqu’il commença à se rétablir, il fut fort affligé d’apprendre que ces pièces n’étaient plus. Deux jours après, il affirmait que ces pièces avaient été prises par son beau-frère et il racontait avec beaucoup de détails que son beau-frère était venu lui montrer ses deux pièces en lui disant qu’il ne les verrait plus. En répétant ce récit, le malade se persuade de sa véracité et ne veut entendre aucune raison, quand on l’assure que ce