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on voit des malades avec une amnésie aiguë, c’est-à-dire avec une défaillance de mémoire et, deux ou trois mois après, le malade se rappelle tout de nouveau. D’un autre côté il arrive aussi que la maladie ne passe pas, mais s’accroît de jour en jour. Dans ces cas la particularité caractéristique de l’amnésie dont nous parlons n’est pas si nette, car, avec l’oubli des choses récentes, il se développe aussi l’oubli des choses anciennes ; le malade confond tout, oublie même son propre nom. Du reste cette dernière issue ne peut intéresser que le médecin et non le psychologue. Le psychologue s’intéresse plutôt, il me semble, à la forme moyenne que nous décrivons, comme la plus caractéristique.

Autant que j’en puis juger, il me semble que, pour un homme qui étudie les lois de la vie psychique normale, les cas que j’ai décrits peuvent présenter de l’intérêt sous les rapports suivants : 1o on est frappé de voir que les perceptions récentes peuvent disparaître de la mémoire presque subitement : le fait s’est à peine accompli que le malade ne peut plus se le rappeler ; 2o cependant on s’aperçoit que si le malade ne peut absolument pas se rappeler ce qui vient de se passer, la trace de ce fait reste néanmoins dans son esprit et, quelque temps après, parfois après un an, elle reparaît dans la conscience. Ce que le malade avait oublié subitement devient capable d’être rappelé à la mémoire. En même temps nous remarquons que toute une série de traces, qui ne peuvent aucunement être rétablies dans la conscience ni activement, ni passivement, continuent à exister dans la vie inconsciente, continuent à diriger la marche des idées du malade, lui suggérant telles ou telles autres déductions et décisions. Cela me paraît être l’une des particularités les plus intéressantes du trouble dont nous parlons. La troisième particularité c’est que, à côté de l’oubli de toutes les choses récentes, et de tout ce qui est arrivé durant la maladie, oubli qui se fait presque momentanément, le souvenir des choses anciennes qui ont eu lieu avant la maladie se conserve parfois parfaitement.

Enfin, 4o il est intéressant de voir que tous les différents genres de souvenirs ne s’effacent pas aussi facilement les uns que les autres. Cette dernière particularité est tout à fait conforme aux conclusions auxquelles est arrivé M. Ribot dans son travail sur « les Maladies de la mémoire ». Nous devons d’abord constater que la destruction de la mémoire ne se fait pas de la même manière pour les différents genres de perceptions : dans presque tous les cas la mémoire des habitudes a persisté le plus longtemps, la mémoire des faits anciens s’est conservée longtemps, mais moins de temps que la mémoire des habitudes. Les impressions récentes s’effaçaient presque toutes de la