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et de la Mort, etc., et surtout le Sylva Sylvarum, le meilleur répertoire de faits et d’expériences qui ait été rassemblé au temps de Bacon. On est un peu surpris que ce chapitre se termine par le de Principiis atque Originibus (p. 209-216), où le philosophe expose sa théorie de la matière ; c’est un fragment de métaphysique, dont l’esprit et la méthode diffèrent beaucoup de la simple observation des phénomènes dans tous les ouvrages précédents.

De même on est surpris de trouver d’abord dans le cinquième chapitre (p. 216-225) des remarques sur le de Sapientia Veterum, qui parut en 1609. M. N. nous dit bien que, dans aucun ouvrage, l’esprit de Bacon ne se reflète mieux, et que c’en est le plus fidèle miroir. En réalité, M. N. profite de l’occasion que lui offraient plusieurs parties de cet ouvrage, pour nous parler enfin des sentiments religieux du philosophe. La religion sans doute vient bien après la métaphysique, comme celle-ci était venue après la physique, et celle-ci après la logique ou la méthode, et celle-ci enfin après la division des sciences : la gradation suivie par M. N. est parfaite. Mais les choses qui sont les plus intéressantes en elles-mêmes ne l’étaient peut-être pas également pour Bacon, et la science, à coup sûr, l’intéressait beaucoup plus que la religion et occupait la plus grande place et la première dans son cœur. C’est donc, en parlant de lui, une sorte de contresens historique, de placer la religion comme en haut lieu, après s’être élevé par degrés jusqu’à elle. M. N. d’ailleurs n’a point de peine à justifier Bacon des accusations d’athéisme et d’hypocrisie (p. 224, 225).

Ce qui suit importe davantage. M. N. formule son jugement sur le philosophe en quatre points :

1o Bacon s’est proposé un but inaccessible, la connaissance des formes ; celle-ci d’ailleurs ne serait d’aucun usage pour produire des effets ou des œuvres, ce qui est pourtant, selon lui, la fin dernière de la science ;

2o Bacon a trop en confiance dans l’extension et l’application de sa méthode aux choses morales aussi bien qu’aux choses physiques : les faits moraux, soit à cause de leur complexité plus grande, soit à cause de la liberté humaine qui en serait un des facteurs, ne comportent guère les procédés de vérification qui sont l’essentiel de cette méthode ;

3o Bacon a trop en confiance aussi dans la certitude de sa méthode ; elle ne mène qu’à une très grande probabilité ; car si l’induction d’Aristote, par simple énumération, n’est jamais certaine parce que l’énumération ne peut jamais être complète, celle de Bacon, quoique plus sûre, par exclusion ou élimination, a un inconvénient semblable ; on ne sait jamais si cette élimination est complète, sauf en mathématiques où le nombre des cas possibles est rigoureusement déterminé ;

4o Enfin Bacon a en tort de ne croire qu’à la généralisation graduelle, comme procédé utile et sûr. L’esprit humain aime à franchir d’un seul bond plusieurs degrés pour s’élever jusqu’à une haute généralisation, sauf à redescendre en suite aux degrés inférieurs en les rattachant à celle-ci : l’astronomie a découvert d’abord les lois les plus