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LE SENTIMENT DE L’EFFORT ET LA CONSCIENCE DE L’ACTION


La plus importante conséquence de la théorie qui fait de tout animal un automate conscient, c’est que nous ne désirons et ne voulons pas, au sens propre des mots, si on entend par là une certaine action de notre part, un déploiement d’énergie et un effort venus de nous. Non seulement, selon cette doctrine, nous n’avons pas le libre arbitre vulgaire, qui supposerait la négation du déterminisme ; mais nous n’avons pas même de volonté au sens large, c’est-à-dire une activité consciente, une causalité qui se détermine sans doute selon des lois, mais qui produit cependant un effet réel et personnel, et qui par là conserve sa part d’influence efficace sur le cours des choses. L’appétition dont parle Leibníz n’est qu’une illusion : toute impulsion est passive au lieu d’être active ; tout désir est un reflet des mouvements externes et non un facteur interne de l’évolution.

On a cru trouver un appui à cette doctrine dans les théories récentes des physiologistes sur la nature de l’effort. Selon beaucoup de physiologistes, les mouvements cérébraux qui accompagnent l’effort volontaire ou l’attention ne sont jamais révélés à la conscience par l’innervation cérébrale, par le départ du courant nerveux ; ils ne sont sentis qu’après avoir été effectués, grâce à des courants nerveux qui en apportent l’impression au cerveau. La conscience de l’action se réduisant à des sensations venues des muscles et des viscères, nous sommes toujours passifs, alors même que nous avons le plus fort sentiment d’activité. Quand nous croyons frapper du poing un adversaire, c’est toujours nous en réalité qui sommes frappés, par le choc en retour des molécules ; c’est le courant nerveux, remontant de nos muscles tendus, qui vient à flots pressés battre le rivage inerte