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A. FOUILLÉE.le sentiment de l’effort

d’un cas analogue : « Cette femme, dit-il, ignorait la position de ses membres et était inconsciente des mouvements quelconques qu’elle pouvait exécuter[1]. Les centres volitionnels, les centres moteurs spinaux, les nerfs moteurs et les muscles pouvaient être mis en jeu comme auparavant[2]. » Et c’est de là que vous concluez la non-existence d’un sentiment d’énergie déployée ? Parce que la malade ignore le sort ultérieur des impulsions transmises à ses nerfs et à ses muscles, comme vous ignorez le sort de la balle d’un pistolet après la détente, vous concluez que la malade n’a aucune impression « concomitante avec le déploiement d’énergie ». C’est là une confusion des éléments les plus distincts.

Passons maintenant aux preuves de raisonnement, « A priori dit W. James, tout ce qui est inutile disparaît de la conscience ; or, il est inutile qu’il existe entre l’idée d’un mouvement et son exécution par les muscles des « millions de sentiments moteurs, dont chacun est spécifique pour s’appliquer aux millions de centres moteurs et les mettre en branle ». — À coup sûr, répondrons-nous, cette interposition d’un million de sentiments moteurs est inutile, mais aussi, qui a pu les imaginer ? Ce que l’on dit, c’est qu’il faut une décharge cérébrale — non pas un million, mais une seule — pour donner le branle au mécanisme, et que nous avons un mode de sentir corrélatif de cette décharge au moment où elle se produit dans le cerveau. C’est vous qui admettez des millions de sentiments musculaires différents pour composer un prétendu sentiment d’effort, lequel n’est que la sensation confuse des résistances mêmes de nos muscles à notre effort. En pressant la détente d’une machine, nous n’avons pas besoin de faire un milliard de petits efforts particuliers pour chacune des parties de la machine ; nous poussons seulement un premier ressort et la machine va toute seule. Il y a seulement cette différence que la machine organique nous avertit ensuite par des sensations afférentes de la manière dont elle marche. Au reste, il est possible que la décharge cérébrale puisse se décomposer en des milliards de décharges infiniment petites ; c’est là une conception leibnizienne qui peut être commune à toutes les théories. — Mais, ajoute-t-on, « c’est un fait notoire que la volonté s’occupe uniquement des résultats et non des détails musculaires qui servent à l’exécution ». — Oui, pour la raison même que nous venons de dire ; mais encore faut-il une décharge centrale et cérébrale. — Le résultat, continue W. James,

  1. C’est-à-dire des mouvements réels qu’elle avait effectués ; elle savait qu’elle faisait un effort, mais ne savait pas ce qui en résultait.
  2. Bristish médical journal, avril 1869.