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puissance d’analyse, soutenue par une dialectique serrée. Soit une ligne coupée en deux, sans déperdition de substance. Si l’on affronte les deux parties divisées, la ligne ne formera pas le même tout qu’avant quelque soin que l’on mette à rapprocher les deux surfaces, il y aura solution de continuité ; par conséquent point d’union réelle. Quelque chose manque ou, plutôt, il y a entre les deux tranches quelque chose qui empêche la cohésion. Si deux disques de bois s’appliquaient l’un à l’autre par leurs surfaces planes, rien n’étant interposé, la continuité résulterait aussitôt de la contiguïté ; il y aurait union intime, unité. Mais deux surfaces dures et non malléables ne peuvent adhérer solidement que par un intermédiaire liquide ou équivalent à un liquide. Il traite la question en physicien, à l’aide du calcul. Cette partie est intéressante pour l’histoire de la physique, en ce qui concerne l’adhérence et l’impénétrabilité. La continuité est rendue possible par la chaleur ou par les liquides. Les exemples sont pris de l’expérience journalière et des arts qui pratiquent les soudures à l’aide du feu.

La continuité n’a lieu que pour les corps homogènes. C’est par contiguïté que s’opère la continuité entre corps de même espèce, rien ne l’empêchant. En autres termes, contiguïté, continuité, homogénéité sont connexes. Une sphère roulant sur une surface plane de la même matière serait en continuité avec elle tant que durerait le contact, rien ne s’interposant entre les deux parties contiguës. On conçoit qu’avec une pareille théorie le vide doit intervenir, ut vitetur vacuum.

La contiguïté vient de la continuité, et non pas celle-ci de celle-là. L’ente insérée dans l’arbre greffe n’est point en continuité avec lui. Assertion étrange, qui donne un démenti au vers admirable de Virgile sur le sauvageon couronné de feuilles et de fruits d’une autre essence. Et la raison de ce paradoxe ? C’est la logique qui veut qu’il ne trouve pas en défaut l’axiome ci-dessus, que la continuité n’est possible qu’entre corps homogènes. La tige greffée sur le sauvageon croît, mais sans devenir continue au tronc, qui l’alimente pourtant de sa sève, pas plus que ce tronc n’est en continuité avec le sol qui le nourrit. Voilà qui va jusqu’à l’extrême subtilité ; mais sans fiction toutefois. Les trois éléments sont, en effet, distincts, si on les considère isolément, solidaires si l’on considère la greffe produisant des feuilles, des fleurs, des fruits et des graines ; ce qui suppose que la tige insérée puise par le tronc son aliment dans la terre nourricière. Qu’aurait-il donc pensé de la greffe animale et de la transfusion du sang ? Peut-être eût-il modifié son aphorisme : quæ enim specie differunt, unum continuitate constituere nequeunt. Ces considérations