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GUARDIA.philosophes espagnols

l’assimilation, et que la nutrition peut transformer la substance animale. Le miel des abeilles diffère selon le suc des fleurs. L’altération ne va donc pas jusqu’à annihiler les qualités des éléments qui se transforment en un corps nouveau, suivant la théorie qui dérive la génération de la corruption. Ce qu’il y a de plus clair dans cet exposé obscur de la doctrine des éléments et des mixtes, c’est que la vie est un incessant devenir, une transformation périodique, ce qui rend peu probable la fixité et l’éternité d’un être immatériel, d’une substance sans étendue.

Revenant au problème de la génération : Sachez, dit-il au lecteur, que je n’ai jamais pu regarder comme vrai que les êtres vivants engendrent des êtres semblables à eux par l’espèce, selon la croyance générale des naturalistes et des médecins. L’esprit génitif d’Aristote ne saurait, malgré l’approbation universelle, expliquer la production de la plante d’une graine pourrie. Il demande si cet esprit génitif a ou n’a pas une âme végétative. S’il n’en a point, comment la transmettrait-il à la plante ? Ce serait faire plus parfait que soi, ce qui serait absurde. Ce n’est point cet esprit génitif qui confère l’âme nutritive aux plantes nées d’un germe ou qui poussent spontanément, sans germination. Il n’est pas étonnant que, admettant la génération spontanée, il professe que les causes de la production des plantes sont d’origine céleste ; il ne paraît pas éloigné d’accepter l’hypothèse d’Anaxagoras, tout en restreignant beaucoup le rôle de la divinité. Les plantes qui naissent spontanément du sol se passent de cette cause supérieure, à laquelle il accorde des loisirs, quin feriari, otiosamque ipsam esse putaveris. On dirait qu’il craint de la confondre avec la nécessité. Il entend qu’elle soit libre.

La nature animée d’un souffle céleste lui répugne, parce qu’il lui semble dangereux de confondre la création de l’âme raisonnable avec la génération des plantes. Sa Providence devait être la loi naturelle, autant qu’on peut le démêler à travers le langage mystérieux que lui dictait la prudence. La cause suprême de production, dit-il, opère en tous lieux, dans le monde sublunaire, partout où se rencontrent des circonstantes propices à son action. Il ne faut pas croire que cette cause souveraine infuse l’âme à l’embryon, à travers la région de l’air. À ce compte, les âmes des bêtes, une fois privées du corps, retourneraient aux régions éthérées, dans le même état qu’avant la naissance de l’animal. De paradoxe en paradoxe, il va jusqu’à soutenir que l’âme sensitive ne vient point des parents.

Il faudrait que la force sensitive fût dans l’esprit génital pour qu’il pût produire une âme semblable. Ce n’est point l’âme maternelle qui peut former dans l’utérus une autre âme. Le mulet engendré du