Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVIII, 1889.djvu/81

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Ce classement des opérations mentales se fait avec une très grande rapidité quand nous lisons, les idées arrivent et s’arrangent, il se forme des associations et des dissociations très promptes d’éléments psychiques et cependant tout en lisant nous n’avons guère conscience que des mots et même souvent que des phrases. Ce travail psychique n’en est pas moins réel, et il est mis en évidence lorsque nous nous heurtons à quelque proposition que nous ne pouvons pas accepter. Le classement devenant plus difficile s’arrête. Lorsque la lecture se fait bien, lorsque nous acceptons ce qui est offert à notre esprit, nous avons un exemple de l’activité la plus abstraite de l’esprit, les idées qui s’éveillent sont si abstraites qu’elles passent à peu près inaperçues, nous n’éprouvons qu’une sorte de conscience générale d’ordre ; si nous y réfléchissons cependant, nous voyons bien que les tendances s’éveillent à demi et entrent en activité, mais seulement en tant que cela est essentiel au sujet même qui nous occupe. Il est bien évident que le mot, comme représentation ou sensation, n’est pas le seul phénomène psychique qui se produise en nous, car nous pourrions aussi bien en ce cas lire une langue que nous ne comprendrions pas pourvu que les caractères nous en fussent familiers. L’effet produit en ce cas se marque directement par le profit, de quelque nature qu’il soit, que nous retirons de nos lectures, et indirectement par l’effet que nous produisent plus tard des lectures différentes. Si ces dernières nous apportent d’autres idées, nous voyons que les nouvelles s’étaient imposées à notre esprit, que nous avions pris certaines habitudes mentales, qui se trouvent ainsi dérangées. Il y avait donc éveil de phénomènes psychiques abstraits, d’idées, qui se sont organisées dans notre esprit. De même quand on nous parle, nous comprenons ce qu’on nous dit sans que des images s’éveillent en nous. Si on me dit : il pleut, il se peut très bien que je n’aie aucune image visuelle, auditive et tactile de la pluie et que néanmoins je prouve que j’ai compris en prenant un parapluie. On dira peut-être en ce cas, il y a simplement une action réflexe provoquée par l’audition du mot, et sans doute, cela est exact, mais cette action réflexe s’accompagne souvent d’un certain état de conscience qui est ce que l’on appellera une idée et qui est le concomitant psychique de l’acte réflexe réduit à peu près à ses éléments essentiels. Si des éléments accessoires viennent s’y joindre, le réflexe est moins pur et l’idée devient moins abstraite, je puis me représenter la pluie, la boue, le froid, le parapluie, les passants, etc., mais tout cela n’est qu’une végétation parasite développée autour de l’idée et nous ramène aux formes inférieures de l’abstraction.