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apparition, d’un seul mot sa loi[1]. Ainsi, dire que la forme du chaud est un mouvement moléculaire, c’était donner à la fois la définition vraie de la chaleur et la loi de sa production, car de la définition même, si elle est juste, il résulte que tout moyen quelconque de communiquer le mouvement intérieur aux molécules d’un corps est un moyen de le chauffer et réciproquement.

En voilà assez pour qu’on puisse juger de l’intérêt qu’offre l’édition de M. Fowler et des services qu’elle rendra. On ne peut souhaiter un guide plus consciencieux ni plus sûr.

Les autres chapitres de cette vaste introduction, que je ne puis que mentionner à la hâte, traitent de « la méthode d’exclusion », justement signalée comme la « pierre angulaire » de la logique baconnienne, et soumise à une critique approfondie[2] ; de « la proscription des causes finales en physique », proscription jugée trop rigoureuse ; de la physique d’Aristote et de la réaction contre son autorité ; des précurseurs de Bacon et de son influence sur la philosophie et sur la science, particulièrement de son influence sur Hobbes et sur Locke ; de la « valeur présente des œuvres logiques de Bacon » ; des écrivains opposés ou hostiles à Bacon ; de la bibliographie du Novum organum. Tous ces chapitres sont aussi pleins, aussi instructifs que ceux que je me suis plu à résumer : le seul défaut notable que j’y trouve est ce manque de lien dont j’ai parlé.

Les notes sont peut-être meilleures encore : elles signalent toujours, élucident presque autant que possible toutes les obscurités et difficultés du texte. J’en trouve une excellente[3] par laquelle je veux finir, parce qu’elle signale à la fois deux vues également chères à Bacon, essentielles l’une et l’autre dans sa doctrine, qu’on pourrait croire contradictoires au premier abord, et dont le savant éditeur fait au contraire voir l’unité en termes qui donnent en même temps une idée de sa propre doctrine. C’est à propos du célèbre passage sur les idoles de la tribu, qui, écrit par le père du sensualisme anglais, mais commenté et loué par l’idéaliste Malebranche, semble conduire tout droit à la

  1. Itaque eadem res est forma calidi et lex calidi (II, 17.)
  2. On sait en quoi elle consiste. Le but de la science est pour Bacon de trouver les « formes », c’est-à-dire les essences et les causes des « natures simples ». Or ces formes sont en nombre limité, si bien qu’on est sûr, en procédant par exclusions ou éliminations successives, d’arriver enfin à ce qu’on cherche. Quand on saura, par exemple, en quoi la chaleur ne consiste pas, on saura du même coup en quoi elle consiste, et que sa forme ou cause ne peut être que le mouvement. « Est itaque inductionis veræ opus (quatenus ad inveniendas formasà rejectio sive exclusiva naturarum singularum, quæ nin inveniuntur in aliqua instantia, ubi natura data adest ; aut invenuintur in aliqua cum natura data decerscat ; aut decrescere cum natura data crescat. Tum vero post rejectionem et exclusivam debitis modis factam, secundo loco (tanquam in fundo) manebit (abeuntibus tanquam in fumum opinionibus volatilibus) forma affirmativa, solida et vera, et bene terminata. » (Nov. org., II, 16.)
  3. Note 50, p. 211.