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A. ESPINAS.. — LA PHILOSOPHIE EN ÉCOSSE.

dans les discussions religieuses du dernier siècle et à recommencer par exemple le procès fait aux tendances incrédules de Hume par l’orthodoxie de ses contemporains ? Nous nous contentons de poser ces questions en passant ; que le livre soit inférieur ou non à ceux qui l’ont précédé pour le choix et l’ordonnance des matériaux, qu’il ait été ou non à propos d’écrire l’histoire d’une école philosophique au point de vue d’une confession particulière, c’est ce qui n’a qu’une importance relative ; les renseignements contenus dans cette œuvre consciencieuse sont assez notables et assez nouveaux pour que nos lecteurs prennent intérêt à en lire un résumé rapide, conçu, comme on va le voir, à un tout autre point de vue et renouvelé par l’étude des ouvrages originaux.




L’Angleterre du xviiie siècle, riche en savants de toutes sortes, n’a guère d’autre philosophe que le médecin Hartley ; Berkeley est Irlandais, comme on sait. Toute l’activité philosophique de la Grande-Bretagne, depuis Locke jusqu’à Stuart Mill, est donc confinée en Écosse. L’École écossaise, dissidents et fidèles compris, forme la transition entre le déisme du xviie siècle et le positivisme du nôtre ; c’est donc en elle qu’il faut chercher le premier germe de ce vaste corps de doctrines qui s’est développé depuis vingt ou trente ans en Angleterre et qui exerce sur le continent une si considérable influence. Tel sera en réalité l’objet de cette étude.

La population écossaise, au commencement du xviiie siècle, était encore à demi barbare. Sur les confins entre les hautes et les basses terres, les « Celtes » se livraient impunément au pillage des troupeaux et levaient des tributs. Même dans les districts les plus favorisés du sud, les héritages étaient mal clos et mal cultivés ; faute de routes, les transports s’exécutaient à dos de cheval. Le paysan, peu nourri, vêtu de lainages de couleur naturelle, logeait dans des taudis dont la terre nue formait le sol, où le foyer était fait de quelques pierres au milieu d’une pièce unique et dont le toit ouvert donnait passage à la fumée. Les plus grossières superstitions régnaient dans cette population, profondément ignorante ; des maladies nerveuses, qui agitaient fréquemment ces corps chétifs, y passaient pour le signe de possessions démoniaques : des sorciers étaient souvent traduits par le cri public devant les magistrate, et ceux-ci épuisaient en vain d’année en année contre les jeteurs de sorts les supplices les plus rigoureux.

Aucun état mental n’est plus propice à l’exaltation religieuse. Un siècle et demi auparavant, les prédications de Wishart et de Knox