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A. ESPINAS.. — LA PHILOSOPHIE EN ÉCOSSE.

développement ultérieur à la morale évolutionniste, remontent à Shaftesbury, et par lui, malgré l’antagonisme réel des deux systèmes, au maître de ses premières années, à Locke, le grand ancêtre de la philosophie anglaise (Cf. Marion, Locke, pages 128 et 129).

La philosophie écossaise naquit, nous l’avons dit, dans les universités. Celles-ci étaient au commencement du siècle sous l’empire de la scolastique. La Logique d’Aristote et les ouvrages de ses plus insipides commentateurs y faisaient le fond de l’enseignement. Une théologie abstruse, une métaphysique toute formelle, d’interminables dissertations sur l’être et la substance y tenaient lieu de philosophie. L’organisation des cours était fort imparfaite. Les professeurs devaient enseigner à la fois avec la philosophie tout le cycle des sciences ; ils n’avaient ainsi le temps d’en approfondir aucune, et ce qui prouve le peu de goût avec lequel ils les étudiaient, c’est que ce long commerce avec les vérités positives ne paraît pas avoir exercé beaucoup d’action sur leur esprit, tout absorbé par des préoccupations morales. Une division du travail devint bientôt nécessaire ; elle eut lieu à Glascow en 1727, au collège de Marischal (Aberdeen) dès 1723 ; mais Reid maintint l’ancienne coutume au collège du Roi (même ville) au moins jusqu’en 1753. Les élèves, d’autre part, étaient de tout jeunes garçons, incapables de pénétrer un enseignement philosophique difficile ; les classes comprenaient jusqu’à cent élèves, et, s’il voulait soutenir l’attention de ce public d’écoliers, le professeur devait adopter une forme oratoire peu compatible avec l’analyse exacte. Ajoutons que dans les universités du sud, surtout à Glascow, de nombreux étudiants venaient d’Irlande passer sur les bancs deux ou trois ans : ils étaient renommés pour leur stupidité, et Reid se comparait, quand il leur parlait, à saint Thomas prêchant aux poissons. Comment de cet ensemble d’établissements scolaires aussi imparfaits sortit une école philosophique respectable en somme et qui a son importance dans l’histoire des idées, c’est ce que l’on ne comprendrait que difficilement, si l’on ne songeait que le personnel des professeurs assez nombreux, composé d’hommes instruits, tous versés dans la théologie et la morale, mis en communication fréquente par les échanges que faisaient entre elles les quatre universités, constituait un groupe éminemment propre à l’élaboration de doctrines philosophiques. Plusieurs sociétés ayant pour but spécial les discussions spéculatives s’étaient recrutées parmi eux ; les ouvrages nouveaux y étaient signalés dès leur apparition et critiqués ; peu à peu, ces sociétés se fondirent avec les cercles littéraires et politiques d’Édimbourg, et les universités entrèrent de plus en plus dans le courant du siècle. L’Écosse devint, grâce à ses