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h. spencer. — de la différenciation politique

favorisent pas la conservation des fortunes accumulées qui ont pu se réaliser. Mais, dans les sociétés pastorales et plus encore dans les agricoles, celles surtout où la filiation en ligne masculine s’est établie, diverses causes de différenciation entrent en jeu. C’est d’abord la différence de parenté avec le chef. Évidemment, dans le cours des générations, les plus jeunes descendants des plus jeunes se rattachent par un lien de plus en plus lâche au plus vieux descendant du plus vieux, et l’infériorité sociale prend naissance ; de même que l’obligation de mettre a exécution la vengeance du meurtre d’un membre de la famille ne s’étend pas au delà d’un certain degré de parenté (qui ne dépassait pas le septième dans l’ancienne France), de même la distinction attachée à cette parenté ne dépasse pas ce degré. De la même cause vie nt l’infériorité en matière de possessions. Dès que l’héritage appartient à l’aîné durant le cours des générations, il arrive nécessairement que les individus qui n’ont avec le chef du groupe que les rapports de consanguinité les plus éloignés sont aussi les plus pauvres. À ces facteurs s’en ajoute un autre, à savoir le surplus de puissance que confère la supériorité de richesse. En effet, lorsqu’il s’élève des disputes dans le sein de la tribu, ce sont les plus riches qui, mieux armés pour la défense et plus capables d’acheter des secours, ont naturellement l’avantage sur les plus pauvres. Nous voyons dans un fait rapporté par sir Henry Maine, toute la puissance de cette cause. « Les fondateurs d’une partie de l’aristocratie de l’Europe moderne, les Danois, étaient dans le principe des paysans qui fortifiaient leurs maisons durant les luttes à mort des villages, et tiraient parti de cet avantage.» La supériorité de puissance ou de situation, une fois qu’elle a pris naissance, s’accroît d’une autre manière. Nous avons déjà vu que des sociétés reçoivent un certain accroissement de l’adjonction de fugitifs venus d’autres sociétés, quelquefois criminels, quelquefois d’opprimés. Lorsque ces fugitifs appartiennent à des races de type de supérieur, il deviennent souvent des chefs, ce que l’on voit chez plusieurs tribus montagnardes de l’Inde, dont les rajahs appartiennent à la race indoue ; mais, quand les fugitifs sont de la même race que la tribu d’adoption, ils ne peuvent y aspirer au premier rang et s’attachent aux hommes qui y exercent le pouvoir suprême. Quelquefois ils renoncent à leur liberté pour obtenir protection : un homme se rendra lui-même esclave en rompant une lance en présence du maître de son choix, chez les Africains orientaux par exemple, ou il lui portera un léger coup, comme chez les Foulahs. Enfin, dans l’ancienne Rome, il existait une classe de demi-esclaves, appelés les clients, qui avaient accepté la servitude en échange de la sécu-